Ecrit le 14 avril 2021
À l’intérieur, les cages sont entassées sur des rangées de plusieurs dizaines de mètres de long. Tout est automatisé : le programme de lumière, l’avancée des tapis d’évacuation des fientes, la distribution d’eau et de nourriture. Dans chaque cage, 15 à 60 poules doivent se partager un espace restreint. Les poules développent souvent des anomalies du comportement : mouvements stéréotypés prolongés, agressivité envers leurs congénères. Leurs os sont très fragiles à cause du manque de lumière et du manque d’exercice.
Telle est (était ?) l’horreur de l’élevage des poules en batterie.
Les vieux en batterie
- Poules
Alors, de grâce n’élevons pas les vieux en batterie ! La France, avec 21 % des personnes de plus de 85 ans en Ehpad, affiche l’un des plus forts taux d’institutionnalisation de l‘Europe. Celui-ci est sensiblement plus faible dans les pays du Nord de l’Europe comme la Suède (14%), le Danemark (11%), la Finlande (8%) ou le Royaume-Uni (16%), mais aussi dans certains pays du Sud puisqu’il atteint 5 % en Italie et 8 % en Espagne.
Et tout ça avec la meilleure bonne volonté du monde : on vous nourrit (quelquefois en liaison froide !), on vous lave, on lave votre linge, on fait le ménage de votre chambre. Le luxe ! Aucun reproche à faire au personnel : il fait ce qu’on lui demande sans avoir le temps de faire davantage. Quelquefois il y a des extras : un service d’animation dynamique, des services de coiffure, pédicure, kiné … C’est super, mais c’est une conception très mécanique, il y manque l’essentiel : la vie.
Ce fut très évident lors de la crise du Covid. On a enfermé les personnes âgées pour qu’elles ne soient pas malades. Plus de rencontres avec la famille, plus de sortie dans le jardin, plus de goûter en chanson, parfois même plus de repas en commun. Chacun dans sa chambre, indéfiniment seul, pour protéger la mécanique corporelle au détriment de la vie sociale.
Mais la mécanique elle-même s’est déréglée ! Une étude de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes a montré que, après six semaines d’interruption des soins de kiné au printemps 2020, le nombre de patients devant être accompagnés pour marcher a doublé, et un quart des patients pouvant marcher seuls ont perdu cette capacité. Le périmètre de marche a diminué de 73 %, passant de 117 à 32 mètres. La rééducation post-chute est devenue une urgence afin de diminuer la peur de chuter et prévenir le syndrome de désadaptation psychomotrice. Comme les poules en batterie, finalement ...
Dans un rapport au Sénat publié le 17 mars 2021, les sénateurs Bernard BONNE et Michelle MEUNIER ont réfléchi aux moyens de prévenir la perte d’autonomie, et, en complément, au fonctionnement des EHPAD (Etablissement d’Hébergement des Personnes Agées Dépendantes).
Arrêter de construire des EHPAD
De façon audacieuse, ils proposent à l’État de se fixer un objectif d’arrêt de construction d’Ehpad alors que le programme France Relance publié le 3 septembre 2020 prévoit la « construction progressive de nouvelles places pour atteindre l’objectif de + 30 000 à l’horizon 2030, avec de premières programmations en 2021–2025 »
Le rapport Laroque disait, en 1962 (!) « La solution de ségrégation rejoint la tendance même des personnes âgées à se replier sur elles-mêmes, à renoncer progressivement à tout effort de contact avec l’extérieur ; elle a donc de bonnes chances d’accélérer leur vieillissement, psychologique. Il importe donc de réagir avec vigueur contre cette solution, aussi bien dans l’intérêt des personnes âgées que dans celui de la société, qui a besoin d’un équilibre entre le dynamisme des jeunes et l’expérience des anciens ».
A l’époque on parlait de « maison de retraite », ou des résidence de personnes âgées et pas d’EHPAD, appellation acronymique qui évoque les personnes âgées dépendantes pour ne pas dire « personnes âgées diminuées ou décrépies ».
Le terme EHPAD date de la fin des années 1990, la dépendance qualifiant des vieillards ayant besoin de quelqu’un pour survivre. De nos jours on ne parle plus de ‘vieillard’, on emploie des termes plus recherchés, mais la réalité est la même.
Les études montrent a contrario qu’un consensus très net se dégage en faveur du maintien à domicile : 90 % des Français expriment une préférence pour ce mode de prise en charge, comme l’observait la Cour des comptes en 2016.
Favoriser le choix de rester à domicile
Favoriser le choix de rester à domicile et limiter les places en Ehpad pourraient entraîner le report d’une partie des seniors vers des formes d’habitat intermédiaire entre les logements ordinaires et les Ehpad, comme les résidences autonomie. Les Ehpad se concentreraient alors sur l’accueil des seniors les plus dépendants.
Depuis 1987 le Danemark a décidé d’arrêter toute construction de maison de retraite nouvelle. Le nombre de places disponibles a même tendance à diminuer. En 1982, 16 % des personnes de plus de 75 ans vivaient en établissement contre moins de 6 % aujourd’hui. En parallèle avec cette action, des logements pour les personnes âgées qui ont besoin d’un habitat spécifique ont été bâtis, avec la possibilité d’accéder facilement à des locaux adaptés et des services spécifiques. Ces logements sont situés dans des zones auxquelles les services de maintien à domicile ont un accès facile.
De plus, tous les logements nouveaux construits ces dernières années doivent obligatoirement être accessibles facilement aux personnes handicapées, et donc aux personnes très âgées : outre la possibilité d’entrer et de sortir facilement par des accès aménagés, tous les immeubles doivent prévoir la possibilité d’ouvrir et de fermer les portes par des systèmes de boucles à induction semblables à celles utilisées aux péages autoroute.
Lorsqu’une personne âgée a des difficultés physiques dans son logement, la commune doit gratuitement aménager son appartement ou sa maison, ou, si c’est impossible, lui proposer un logement adapté de superficie équivalente à proximité.
Il existe par ailleurs un modèle d’habitat diffusé largement au Canada, au Royau-me-Uni et dans un certain nombre d’autres pays de l’OCDE à partir de l’expérience danoise, consistant à construire des groupes d’habitations dans lesquelles les résidents, qui peuvent être ou non des personnes âgées, sont moins isolés grâce à la possibilité de partager certaines tâches, de participer en commun à des activités ou de bénéficier de services collectifs tels que des laveries ou des salles communes de loisir. Ces quartiers sont situés près des services collectifs et des commerces. Il existe plusieurs dizaines de quartiers de ce type au Danemark.
… mais pas à toute force !
- Vieux, par Julie
Inscrire la priorité de la prise en charge à domicile dans le droit n’implique donc pas nécessairement le maintien à toute force dans le logement occupé toute sa vie. N’oublions pas que, si 90 % des personnes de plus de 75 ans peuvent rester chez elles jusqu’à la fin de leur vie comme elles en expriment régulièrement le souhait, c’est essentiellement grâce à leur famille et à leurs proches, qui fournissent 80 % de l’aide nécessaire à ce maintien au domicile. En 2020, le nombre de proches aidants est estimé à une dizaine de millions, soit un Français sur six, à 60 % des femmes.
Le soutien financier offert aux proches aidants est pour l’heure assez restreint. Les auteurs du rapport proposent d’assouplir les modalités d’attribution de l’aide à l’autonomie pour mieux y inclure les besoins du proche aidant.
Il faudrait aussi penser à revaloriser le travail des professionnels qui interviennent au domicile des personnes âgées. Sans oublier de tenir compte des désirs des personnes. « Certaines personnes âgées reçoivent à domicile des visites à longueur de temps par les différents services sociaux, ce qui est souvent mal vécu. Il faut que la volonté de vivre soit préservée, elle peut se dégrader rapidement » dit Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère.
Repenser les EHPAD
Il faudrait aussi repenser les EHPAD pour que ces lieux de fin de vie soient aussi des lieux de vie. « Certes, il ne faut pas dissimuler que le placement collectif de certaines personnes, physiquement ou psychologiquement incapables de mener une vie indépendante, continuera de s’imposer.
Du moins, convient-il de faire en sorte que, tant sur le plan de l’équipement que sur celui de l’organisation de la vie quotidienne, les organismes chargés de les accueillir soient adaptés à leur état et qu’y soit ménagée la possibilité, pour les personnes ainsi placées, de garder le plus de contacts possibles avec l’extérieur. [...]
Ainsi, tout en évitant de faire naître, chez les résidents un sentiment de dépendance, pourra-t-on respecter le besoin qu’ils éprouvent de conserver leur place dans une société normale, d’être mêlés constamment à des adultes et à des enfants. » (Rapport Laroque 1962)
« Dans une logique de parcours, une personne accueillie temporairement, après une hospitalisation par exemple, devrait pouvoir rentrer chez elle avec l’assurance d’un suivi à domicile sur le plan nutritionnel, mais également social ».
Ouvrir les EHPAD sur le quartier
La conception intérieure et extérieure des établissements est également appelée à changer, pour délaisser l’esthétique hospitalière et repenser la répartition entre les espaces privés, semi-privatifs et collectifs, à plus forte raison dans un contexte où les épidémies sont susceptibles de maintenir les résidents plus longtemps dans leur chambre.
Proposition : faire de l’ouverture sur la vie de quartier un des critères d’autorisation ou de rénovation des projets d’Ehpad. Exemple avec le Village Alzheimer ouvert en juin 2020 à Dax, qui ambitionne de redéfinir la place des personnes âgées et des malades dans la société.
Ce village Alzheimer est une structure semi-ouverte aménagée dans un parc de 5 hectares avec étang, ânes, potager et poulailler. Semi-ouverte, car le village est entouré de murs discrets cachés par des revêtements en bois, et car les familles peuvent venir n’importe quand et sont invitées à passer du temps sur place par la présence d’une cafétéria, de jeux pour enfants ou encore de studios à louer.
L’architecture, l’éclairage et l’aménagement des lieux ont été pensés avec une psycho-gérontologue. Les habitants sont répartis entre quartiers de quatre maisons de 300 m2 chacun. Les maisons n’ont pas de couloir, les espaces communs sont ouverts. Une place carrée regroupe des commerces, parmi lesquels une supérette, une médiathèque , une salle de sport et un salon de coiffure, tous ouverts aux habitants extérieurs au village. À terme, le village prévoit d’accueillir 120 villageois, entourés de 120 salariés et 120 bénévoles, quand le ratio moyen d’encadrement en Ehpad est de 0,6 agent pour 1 résident.
Si le coût de construction a été supérieur au coût usuel – 28 millions d’euros, contre 20 en moyenne –, le tarif à la journée est de 58 euros pour l’hébergement, auxquels s’ajoutent 7,42 euros liés à la dépendance, ce qui est dans la moyenne des Ehpad publics landais.
Le rapport de Bernard Bonne et Michelle Meunier ne se limite heureusement pas à des considérations matérielles ou architecturales, il s’intéresse aux moyens de limiter la perte d’autonomie.
- La pratique sportive des seniors.
La pratique d’une activité physique prévient les chutes, réduit la morbidité, rompt l’isolement social et favorise un bien-être psychologique. Une réflexion reste à mener sur les moyens de favoriser cette pratique sportive pour les résidents des Ehpad.
Des environnements favorables :
L’accessibilité et l’adaptation des espaces publics aux personnes âgées est un critère fondamental de vieillissement en bonne santé de la population. L’engagement dans une telle démarche nécessite de la part d’une collectivité l’adhésion à un certain nombre d’objectifs : espaces extérieurs et bâtiments, transports et mobilité, habitat, services et soins, mais aussi : information et communication, lien social et solidarité, culture et loisirs, participation citoyenne et emploi, autonomie.
- Offrir les moyens d’un loisir studieux. Le concept d’université pour tous les âges contribue à élever le niveau de santé physique, mental, social et la qualité de vie des personnes âgées par l’entretien physique, l’activité cérébrale, l’ouverture sur la société, le développement des relations sociales, la créativité et les services rendus autour de soi. Là encore ces objectifs sont à adapter pour les résidents des EHPAD pour leur éviter l’inactivité déprimante, le sentiment d’inutilité et le repliement sur eux-mêmes.
- Élargir les possibilités de maintien et de reprise d’activité des personnes tant qu’elles s’en sentent aptes.
En quelque sorte élargir le droit au travail … qui peut se faire sous la forme d’encouragements au bénévolat.
Lutter contre l’isolement
Il faudrait aussi résoudre les problèmes que posent l’isolement, la solitude, la ségrégation ou l’inadaptation sociale des personnes âgées dans une société qui les a exclues. Le rapport des Petits frères des pauvres de 2019 estimait déjà à 4,6 millions le nombre de Français de 60 ans et plus ressentant de la solitude, et à 3,2 millions celui des personnes âgées risquant l’isolement relationnel, c’est-à-dire pouvant passer des journées entières sans parler à personne. Cette solitude et cet isolement touchent plus particulièrement les femmes, les personnes de plus de 85 ans et les personnes aux revenus modestes, les habitants des quartiers relevant de la politique de la ville, les petites agglomérations.
Le rapport remis par Jérôme Guedj à l’issue de la première vague épidémique de covid-19 formule trente-six propositions intéressantes pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, visant à mieux faire entendre la voix des personnes âgées, soutenir les proches aidants et les professionnels du médico-social, s’appuyer sur la société civile, et mieux identifier les moyens financiers consacrés à cette politique.
Il propose notamment de s’appuyer sur les outils numériques, de « faire une cartographie des Ehpad situés en zone blanche et d’envisager leur raccordement par la fibre ou par une connexion satellitaire en priorité. Et de financer un plan d’aide exceptionnel à l’équipement numérique des établissements et faire des outils de communication avec les proches un des piliers du socle technologique des établissements »
… A condition de prévoir les personnes capables d’accompagner l’utilisation des outils numériques.
Pour Bernard Bonne et Michelle Meunier, « la généralisation de visites à domicile à 75 ans devrait permettre de repérer efficacement les personnes isolées pour leur proposer des solutions, l’appel au bénévolat semble une piste également prometteuse. Au Danemark, on estime à 40 000 le nombre de personnes bénévoles pour l’aide aux personnes âgées, et le bénévolat des jeunes, en particulier, est fortement encouragé et valorisé socialement. La mobilisation de l’agence du service civique et de la réserve civique est ainsi un outil à renforcer ».
NDLR : Toutes les améliorations matérielles que l’on peut faire seront vouées à l’échec s’il n’y a pas un accompagnement humain. D’où la nécessité d’encourager le bénévolat, ce qui passe par le soutien aux associations.
Quelques références qu’on peut trouver sur Internet :
►- Rapport au Sénat n°453
https://www.senat.fr/
►- Rapport Jérôme Guedj : « Lutter contre l’isolement des personnes âgées et fragiles en période de confinement »
►- le site : rompre-isolement-aines.gouv.fr