Accueil > Châteaubriant > Histoire autour de Châteaubriant > Patrimoine : la pierre de l’évêque ?
Ecrit le 22 septembre 2010
Tout heureux, Michel Charron ! Un bulldozer dans son jardin, rue de Rigale, frappe une grosse pierre, rouge, doublement incurvée, décorée d’une petite frise : l’esprit du collectionneur-archiviste s’est tout de suite mis en éveil. qu’est-ce donc ?
Pour Jean-Claude Meuret, archéologue, ce serait un vrai trésor datant des origines de Châteaubriant, XIIe siècle sans doute.
Pour Christian Bouvet, cette pierre noble est d’un travail très fin, décoré de dents de scie ou dents de loup, sans doute une pierre d’une cheminée monumentale. « Au XIIe siècle, une cheminée de cette ampleur suppose une famille aisée » dit-il en échafaudant une hypothèse séduisante.
Le mot « Rigale », dit-il, viendrait de « regaelle », c’est-Ã -dire de régaire, une juridiction temporelle tenue par un évêque en Bretagne. « Ce nom renverrait à l’origine des biens de la famille de Brient, venu s’installer après l’an mil sur une propriété donnée par l’évêque de Nantes. Dans un aveu de 1541, rue de Regalles, il est question d’une maison de Regalles. Simple souvenir de l’ancienne présence épiscopale ? Ou bien la ville close naissante a-t-elle englobé une juridiction épiscopale ? ». Les recherches continuent
Si cette pierre venait de cette maison des Regalles, elle pourrait témoigner d’une propriété de l’évêque et devenir un symbole des origines de Châteaubriant
Michel Charron a offert cette pierre à la ville de Châteaubriant
- Pierre en grès ferrugineux au grain très fin.
- 70 cm de long,
- 30 cm de haut,
- épaisseur 20 cm,
- poids 40 kg.
En complément :
L’étude fouillée de Jean-Claude Meuret
Un élément de hotte de cheminée du XIIe ou Xllle siècle
Châteaubriant (44) : rue de Rigale
En 2004, M. et Mme Miche ! Charron réalisent des travaux dans le jardin de Jeur maison, rue Tournebride/ Rue de Rigale. Ils y découvrent un remarquable bloc taillé dans une
roche de couleur rosâtre. Christian Bouvet m’en prévient et je me rends sur place.
Il s’agit apparemment d’un grès roussard, niais d’un facies particulier, avec un grain d’une extrême finesse, à peine visible, d’aspect crayeux au toucher et qui laisse sur la main des traces lie de vin. Ces derniers caractères évoquent ceux de l’hématite, minerai de fer présent à la minière de Rougé, à 12 km au nord de Châteaubriant. Pour autant la roche est d’une certaine dureté. J. Plaine, géologue responsable des collections et du musée de géologie à Rennes 1, l’a examinée. Selon lui, il s’agit bien d’un grès ferrugineux, mais d’une faible teneur, sans doute plus ou moins hématitique et sans doute lié aux formations anciennes des grès armoricains. Un prélèvement fait à
l’arrière va être examiné en lame mince.
Le bloc pèse environ 40 kg et mesure 0,70 m
de longueur, 0,30 de hauteur et 0,20 m d’épaisseur. Sur sa face convexe avant, en
partie haute, on observe un décor régulier, constitué d’une frise de dents de scie ou de loup. l’angle bas de la face est en cavet. Enfin, même si on y voit de nombreuses mais fines traces d’outil parallèles, l’ensemble du bloc a été soigneusement taillé et surfacé de manière à lui conférer une double courbure, tant dans le plan vertical que dans le
plan horizontal. La faiblesse de cette courbure permet de penser que le bloc appartenait à un ensernble d’une certaine dimension, au moins 1,50 à 2 m de longueur de façade, sinon plus.
c’est dans les terres du jardin qu’a été trouvée la pierre, absolument la seule de cette matière. La maison se trouve dans les limites de la ville close, mais seulement à 50 m de la courtine ouest du château, à 15 m de l’enceinte urbaine et de l’emplacement de la porte nord-est de la ville. On ne peut cependant conclure avec certitude que la pierre a été enfouie sur place et provient d’un édifice détruit à cet endroit ;
Même si c’est peu probable, elle peut tout aussi bien provenir de
démolitions éloignées, de remblais, d’un ramassage ancien...
Son décor incite à la rattacher au XIIe siècle eu au début du XIIIe siècle. Les motifs géométriques sont fréquents aux portails des églises romanes de cette époque :
pointes de diamant, à Béré à 1 km de là , à Rannée (à 20 km au nord), ou à Livre et Bouchamp (Mayenne) et surtout dents de loup très comparables à Saint-Benoît de Massérac (Loire-Atlantique) et à Saint-Nicolas de La Guerche (Ille et Vilaine). Tous ces exemples ramènent clairement au XIIe siècle.
Le matériau grès roussard « ” si c’en est bien ici »” est d’un usage fréquent au XIIe ou XIIIe siècle pour les éléments majeurs des constructions de pierre de la région.
Reste le problème de sa destinatïon : en raison de sa double courbure, il ne peut s’agir d’un arc de porte, ceux-ci étant réalisés dans un seul plane. Le seul usage connu que nous ayons trouvé et qui corresponde à cette forme est celui d’un segment de cheminée romane conique à hotte courbe en arc surbaissé. On en connaît un certain nombre ; en premier lieu à Cluny, mais aussi près de la cathédrale du Puy, au porche Saint-Jean, à Le Blanc au château de Naillac, où elles s’ornaient parfois d’une frise au raccordement de la hotte avec le linteau. Plus près, Angers en a livré un exemplaire dans la « Tour des druides », une maison qualifiée de patricienne (1), et on en connaît
aussi au château de Tiffauges en Vendée.
La Bretagne n’en a guère conservé : cependant, si celle de Vitré, attribuable à la phase romane a perdu son élévation, elle présente bien aussi une forme semi-circulaire, avec deux colonnes semi-engagées, et pouvait avoir eu une hotte conique ; elle semble appartenir au logis du Xlle siècle.
Celle du chà teau de Fougères ne présente pas un plan circulaire. A La Roche-Maurice (Finistère), il en subsiste une, datée de la phase 1250 1300 (2) . Dans le château de Châteaubriant même, la tour éventrée ou sapée, à droite du châtelet conserve à l’étage une cheminée complète à arc surbaissé et hotte courbe que l’on date du
XIVe siècle (3) ou du XIIIe siècle (4).
L’élément trouvé par M. Charron a été examiné par G. Meirion-Jones en janvier 2008, qui y a immédiatement reconnu un fragment de
cheminée romane, et proposé une datation dans les années proches de 1160.
P. Garrigou-Grandchamp, grand spécialiste de l’architecture civile romane en France, a pu examiner photos et relevés en février 2008 ; il confirme bien que le profil avec corniche supérieure et légère doucine inférieure caractérise les manteaux de cheminées, qu’il s’agit d’un segment d’arc surbaissé comme on en voit à nombre de
manteaux de cheminées avant le XVe siècle, que la courbure interne qui indique une amorce d’avaloir est fréquente avant le XIVe siècle. Pour la datation, il ajoute que les traces d’outils du revers semblent correspondre à la laie, taillant droit avec strilles larges, ce qui serait en Val de Loire ou en Bourgogne, une indication de datation
haute, au moins du XIIe siècle ; mais sur ce point il ajoute qu’il faudrait des observations bretonnes. Ne connaissant pas précisément les contextes de l’Ouest, il ne se prononce pas sur la datation du décor ; mais plus haut nous avons proposé des comparaisons très proches qui ramènent au XXIIe siècle.
II s’agit donc bien d’un segment d’une hotte de cheminée du Xlle ou du XIIIe siècle, présentant un arc surbaissé et courbe. A la qualité de sa réalisation s’ajoute la rareté du matériau, car ce n’est pas un grès commun. Quant à l’explication de sa présence Rue Tournebride, l’hypothèse la plus vraisemblable amène à le rattacher à une
demeure occupée par un personnage de rang élevé, peut-être un membre de l’entourage des seigneurs de Châteaubriant qui vivait dans une maison équipée d’une cheminée qu’on peut qualifier de monumentale, élément de confort inconnu à l’époque
en Bretagne hors du contexte castrai. Elle serait alors le seul élément conservé de
l’architecture de la ville, ou du bourg castrai de Châteaubriant, au Moyen-Age central.
Jean-Claude Meuret, février 2008
NOTES:
(1) LETELLIER et BIGUET. Evocation de l’habitat patricien à Angers au XIIe siècle. Bulletin monumental, Société
Française d’Archéologie, t. 160-1, 2002, p. 54-55.
(2) Information de J. Martineau que je remercie.
(3) JAMES, François-Charles. « Le château de Châteaubriant »", Congrès archéologique de France, session 1968, Haute-Bretagne. Paris, Société française d’archéologie, 1968, p. 320.
(4) Le BOEUF François et PILLET Denis. Châteaubriant, Loire.Atlantique. Nantes. Images et Patrimoine. Editions du Patrimoine 1997 page 18
du Patrimoine. 1997. p. 18.