Ecrit le 23 décembre 2020
MITTELBAU-DORA était un camp de concentration et d’extermination par le travail, un des camps les plus meurtriers du IIIe Reich. D’août 1943 à avril 1945, près de 9 000 déportés de France ont creusé des tunnels pour installer un site industriel et assembler les pièces de fusées V2 censées anéantir l’Angleterre depuis le Pas-de-Calais. Dora est l’usine-camp souterraine où la machine du guerre la plus secrète nazie exploite et tourne à plein.
Ordre d’Himmler : personne ne doit sortir vivant de Dora. Soixante mille hommes de toutes nationalités connaîtront l’enfer de Dora pendant ses vingt mois d’existence, vingt mille en mourront.. Documentaire
Jules Cavé
Arsène GAUTIER
Félicien Gautier
Francis Gautier
Georges Gautier
Raoul Giquel
Marcel Guibert
Louis Plessis
Lucien PLESSIS
Oscar Buckmaster
Number One
Vivre et mourir à Dora
Ecrit le 5 mai 2021
Voyage au cœur des larmes
Le 25 avril 2021, à Los Angeles, un jury américain a osé décerner l’Oscar du meilleur documentaire en format court à un film sobrement intitulé Colette. Une vieille dame de quatre vingt treize ans, Colette, fort droite, fort digne, découvre le camp de concentration de Mittelbau-Dora où son jeune frère Jean-Pierre, est décédé, à l’âge de dix-sept ans, trois mois avant que les troupes américaines ne libèrent le camp. Lucie, une frêle jeune fille de 17 ans accompagne Colette. Une caméra les suit, discrètement, de loin. Colette refuse de se sentir filmée
A l’arrivée de Colette, le maire de Nordhausen prononce un discours, reconnaît les torts des nazis et assure que cela n’arrivera plus. Colette se fâche, impose le silence à tous. « En colère ? J’ai dépassé la colère. Je suis ...Je suis un peu dépassée par l’horreur. » confie-t-elle plus tard. Comment accepter un discours de bienvenue, avec un tel poids sur son cœur, sur sa vie ?
Nul voyeurisme dans ce documentaire poignant. Nulle scène sanglante. Seule une photographie des déportés, squelettiques, allongés sur le sol, sans couverture, dans leur baraquement, laisse imaginer l’horreur. Du camp, en dehors de cette photographie, le film ne montre que des espaces nus, dont le vide crie l’indicible.
A l’arrivée au camp, Colette tient Lucie à distance : « Regarde ailleurs, toi. » Elle éclate en sanglots en suivant le parcours de son frère. « Je suis réputée pour ne jamais pleurer. Comment veux-tu que je pleure devant des étrangers ? c’est pas possible. Ça ne veut pas dire que la cicatrice n’est pas visible, qu‘elle ne fait plus souffrir ou moins souffrir. Donc, voilà, j’ai pleuré pour les années à venir. .. Lorsque vous serez en pleine guerre, vous vous rendrez compte qu’on n’a pas le temps de ressentir quoi que ce soit. » confie -t-elle à Lucie.
Au sortir du crematorium où est mort Jean-Pierre, Colette essaie de cacher ses pleurs. Lucie lui tend un mouchoir. « Merci, ma puce. » répond Colette, comme une grand-mère à sa petite fille. Lucie, elle aussi, tente de refouler ses larmes, mais n’y parvient pas.. « T’es comment ?, demande Colette. T’es pas mieux. Y’ en a pas une des deux pour remonter le moral à l’autre. » « On se soutient mutuellement. », confirme Lucie. La caméra les filme de loin, avec une grande discrétion, avec un profond respect, avec délicatesse.
J’ai pleuré de douleurs, avec Colette, avec Lucie, au nom de tous les enfants, les femmes, les hommes, déportés, niés, hier par la folie meurtrière nazie et aujourd’hui par tant de haines.
J’ai pleuré d’incompréhension, avec Colette, au nom de son enfance meurtrie jusque dans l’amour maternel.« Jean-Pierre était très exigeant en amitié, en travail. C’était un peu comme ma maman. Elle était comme ça, aussi. D’ailleurs dans la détresse de l’occupation, ce qui lui manquait, c’était Jean-Pierre. On était en train de parler de son arrestation, elle m’a dit : Et dire que c’est pas toi. J’ai mis soixante-quinze ans à oublier que ma mère aurait préféré que je sois morte à la place de mon frère. Je suis sûre que dans la minute où elle l’a dit, elle l’a oublié, mais moi pas. » ose partager Colette.
J’ai pleuré, surtout, d’éblouissement devant la force, le courage, la simplicité de Colette qui affronte tout avec dignité.« Si ma mère avait été là, elle aurait été droite... C’est certain. C’est certain. Elle aurait été très droite ; elle aurait été plus courageuse que moi, ma mère. Elle a toujours été merveilleusement courageuse, cette femme-là. »
J’ai pleuré d’émerveillement devant le courage, la simplicité, l‘accueil de Lucie qui accompagne Colette avec une profonde pudeur et une extrême vigilance.
J’ai pleuré de joie, devant la tendre complicité qui se noue pas à pas, au rythme lent de la vieille dame, entre la toute jeune fille, à l’abri jusque là de toute violence, et la vieille femme plongée depuis l’enfance dans un drame porté en silence. Notre monde recèle encore des trésors d’humanité. Merci à Colette, merci à Lucie. Merci au réalisateur, au cameraman, au producteur, au jury américain. Merci à la Vie qui engendre de telles rencontres , par delà l’horreur.
Jacqueline