Ecrit le 23 mars 2019
Un autre facteur peut jouer un rôle dans la réussite sociale : l’estime de soi. Notion bien réelle mais difficilement quantifiable.
« Généralement, les autres m’aiment bien », « je suis performant dans mon travail », « même si la vie devient difficile, je trouverai les moyens de l’affronter »… Ce genre de conviction manifeste une bonne estime de soi et procure à l’individu bien-être et capacités d’action. Longtemps en Occident, l’humilité a été un idéal. Puis l’individu est devenu la valeur primordiale de nos sociétés. Si Blaise Pascal pouvait écrire : « Le moi est haïssable », quelques siècles plus tard, la formule était ironiquement complétée par Paul Valéry : « Mais il s’agit de celui des autres. »
L’estime de soi est aujourd’hui devenue une aspiration légitime, considérée comme une nécessité pour survivre dans une société de plus en plus compétitive. La question de l’estime de soi s’est même posée à certains responsables politiques. Ainsi, l’État de Californie avait décrété qu’il s’agissait d’une priorité éducative et sociale de premier ordre soulignant que « le manque d’estime de soi joue un rôle central dans les difficultés individuelles et sociales qui affectent notre État et notre nation ». Depuis, de nombreuses études ont été conduites sur les bénéfices exacts d’une bonne estime de soi.
Les données les plus clairement attestées concernent le bien-être subjectif : l’estime de soi est un facteur robuste de bien-être émotionnel. Elle est aussi un important facteur de résilience face à l’adversité. Pour autant une bonne estime de soi ne garantit pas forcément de bons résultats. Les rapports sont plus nets en sens inverse : les succès obtenus dans le milieu scolaire ou professionnel sont très valorisants pour l’estime de soi (ce qui semble évidemment très logique).
Les personnes ayant une bonne estime de soi sont capables de persister face à la difficulté beaucoup plus longuement que les sujets doutant d’eux-mêmes, tentés d’abandonner rapidement. Autre donnée intéressante : face à des problèmes qui s’avèrent insolubles, les sujets à haute estime de soi se désengagent plus vite, et identifient plus rapidement qu’il est inutile de s’enliser dans ce que l’on nomme en psychologie expérimentale la « persévérance névrotique ».
L’estime de soi est une donnée fondamentale de la personnalité, placée au carrefour des trois composantes essentielles du soi : comportementale, cognitive et émotionnelle. Elle comporte des aspects comportementaux (elle influence nos capacités à l’action et se nourrit en retour de nos succès) et cognitifs (elle dépend étroitement du regard que nous portons sur nous, mais elle le module aussi à la hausse ou à la baisse). Enfin, l’estime de soi reste pour une grande part une dimension fortement affective de notre personne : elle dépend de notre humeur de base, qu’elle influence fortement en retour. Les rôles de l’estime de soi peuvent d’ailleurs être compris selon cette même grille de lecture : une bonne estime de soi facilite l’engagement dans l’action, est associée à une autoévaluation plus fiable et plus précise, et permet une stabilité émotionnelle plus grande.
Chez l’enfant, elle recouvre souvent au moins cinq dimensions : l’aspect physique (« est-ce que je plais aux autres ? ») ; la réussite scolaire (« suis-je bon élève ? ») ; les compétences athlétiques (« est-ce que je suis fort(e), rapide, etc. ? ») ; la conformité comportementale (« les adultes m’apprécient-ils ? ») ; la popularité (« est-ce qu’on m’aime bien ? »).
Ces composantes sont assez proches chez l’adulte. On se compare aux autres, pour réguler son estime de soi lorsque l’on est confronté à des difficultés. Mais le résultat de cette comparaison sociale sera différent selon l’estime que l’on a de soi-même : les sujets à haute estime de soi comparent plus volontiers vers le bas (« il y a pire que moi ») tandis que ceux à basse estime de soi s’enfoncent en comparant vers le haut (« beaucoup de personnes sont meilleures que moi »). Le regard des autres est un paramètre essentiel de l’estime de soi. Plus le sujet pense qu’il est l’objet d’une évaluation favorable par les autres, plus cela améliore son estime de soi.
Les auteurs ayant travaillé sur l’acquisition de l’estime de soi ont d’ailleurs tous souligné l’importance, pour le bon développement de cette dernière, de l’expression par les parents d’un amour inconditionnel à leurs enfants, indépendamment de leurs performances. L’enfant intériorise alors que sa valeur ne dépend pas que de sa performance, mais représente une donnée stable, relativement indépendante, du moins à court terme, des notions d’échec ou de réussite.
L’estime de soi haute ou basse n’est pas seulement une caractéristique de la personnalité. C’est aussi un outil, permettant, ou non, de s’adapter à son environnement. Les sujets optimistes sont capables, face à toute incertitude, d’imaginer qu’ils auront les ressources nécessaires pour faire face comportementalement (si l’événement est contrôlable) ou émotionnellement (si l’événement ne dépend pas de la personne).
La plupart des études soulignent que les sujets à basse estime de soi s’engagent avec beaucoup de prudence et de réticences dans l’action. À l’inverse, les sujets à haute estime de soi prennent plus rapidement la décision d’agir, et persévèrent davantage face à des obstacles. L’explication de ces différences tient entre autres à la perception des échecs : les sujets à basse estime de soi tendent à procéder face à l’échec à des attributions internes (« c’est de ma faute »), globales (« cela prouve que je suis nul ») et stables (« il y aura d’autres échecs »). Tandis que leurs homologues à haute estime de soi vont le plus souvent recourir à des attributions externes (« je n’ai pas eu de chance »), spécifiques (« je reste quelqu’un de globalement valable ») et instables (« après la pluie, le beau temps : des succès viendront »).
Source : Magazine Sciences Humaines 2013