Accueil > Divers > Une araignée au plafond
Ecrit le 10 février 2021
Quand le ciel bas et lourd
Pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant
En proie aux longs ennuis
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets
Au fond de nos cerveaux (Baudelaire)
Le poète décrit bien ces temps de pandémie où chacun est tenu de s’enfermer, dès 18 h chez lui, et de renoncer à tout contact humain. Dans les autres pages de ce numéro de La Mée nous vous parlons des inégalités, du désarroi des jeunes, de la souffrance des vieux. Pour changer un peu, parlons donc des araignées : des Pholcus !
Le Pholcus est effrayant à cause de ses pattes, véritablement immenses : 8 pattes articulées en 56 tiges emboîtées bout à bout, certaines toutes petites et d’autres plus longues. Alignées bout à bout les pattes d’un petit Pholcus mâle formeraient une perche de 30 cm de long, plus de 40 fois la longueur de son corps ! Le corps du Pholcus montre deux engins étranges ressemblant à des gants de boxe. A l’intérieur il y a un appareil fantastique avec tout un système de cornues, de lames, de crochets, de renflements, de vessies qui parfois se mettent à gonfler comme des bulles. Hallucinant !
De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’une pompe aspirante-refoulante à sperme de conception particulièrement complexe et tarabiscotée.
Mister Pholcus, très peu de temps après sa mue, décide de remplir. - car elles sont vides -, les deux pompes à sperme flambant neuves que vient de lui confierla Nature. Pour cela, il commence par laisser perler une goutte du précieux liquide qu’il dépose dans un premier temps en équilibre sur un câble de soie spécialement filé à cette intention. Puis, se retournant, il saisit la gouttelette de semence entre ses crochets et, approchant l’une après l’autre ses seringues, il l’aspire en deux temps trois mouvements.
c’est fait : ses bulbes sont chargés ; le voici maintenant fin prêt pour partir à la recherche d’une femelle Pholcus. Obsédé par cette seule idée fixe, il erre interminablement, la nuit, dans les chambres, les couloirs, les débarras, les greniers, les caves, explorant murs et plafonds. Enfin il en trouve une, suspendue dans sa toile.
Pholcus se doute que s’il frappe bêtement la toile, sa future compagne, qui est très myope, ne va pas manquer de dégringoler quatre à quatre jusqu’Ã lui, persuadée d’avoir affaire à un gibier ordinaire. En sorte que. avant même d’avoir pu lui réciter le petit poème qu’il lui avait préparé, il se retrouvera entravé, ficelé comme un saucisson et mordu derrière les oreilles du baiser qui ne pardonne pas.
Tout son travail consiste donc à titiller les fils d’une façon suffisamment bizarre pour que la femelle comprenne qu’elle est en présence non pas d’un diptère de qualité courante mais d’un séduisant galant venu tout exprès la demander en mariage.
Si, malgré toutes ces précautions, Mister Pholcus entend sa fiancée dévaler les étages, nul besoin de lui faire un dessin. Comprenant ce que cela veut dire, il se laisse instantanément tomber jusqu’au sol, à la mode des aspirants parachutistes, freinant sa chute à l’aide de son fil de sécurité.
qu’en revanche celle-ci semble ne pas réagir à ses premières secousses, voilà qui est très bon signe. Le soupirant profite de la situation pour tenter de se rapprocher, escaladant avec lenteur les degrés de l’échafaudage de soie, s’interrompant à intervalles réguliers pour multiplier les petites vibrations de contact.
Lorsque, décidément, la femelle reste de marbre en dépit de toutes les sollicitations grandes et petites imprimées à sa toile, "” preuve qu’elle se trouve dans d’excellentes dispositions amoureuses - le mâle, fin psychologue, entreprend de la caresser doucement de ses pattes avant.
Toujours pas de réactions cannibales ? Parfait ! Se décidant soudainement à franchir le pas décisif, et risquant le tout pour le tout, il se glisse sous elle et enclenche, d’un seul coup d’un seul, ses deux bulbes dans l’organe femelle, situé sous l’abdomen. Cet organe femelle, que les spécialistes appellent « épigyne » est la réplique en creux de l’appareil compliqué du mâle ; en sorte que celui-ci s’y emboîte dans ses moindres détails, un peu à la façon d’une clé pénétrant dans une serrure.
Le mâle s’y tient d’ailleurs si solidement accroché que, bien souvent, il reste littéralement pendu par les bulbes à l’abdomen de sa compagne. Les deux époux, dans une parfaite immobilité, demeurent ainsi liés parfois pendant une heure ou plus, les pattes emmêlées en un faisceau d’apparence inextricable.

Bien sûr, c’est plus de temps qu’il n’en faut au mâle pour faire passer dans le corps de la femelle une partie du sperme soigneusement emmagasiné dans ses deux seringues. Alors pourquoi donne-t-il tant l’impression de vouloir retarder l’instant fatidique de la séparation ? Personne ne m’enlèvera de l’idée que c’est parce qu’il se creuse désespérément les méninges sur la façon la plus rapide et la plus sûre de prendre la poudre d’escampette une fois l’accouplement terminé.
Il n’est nullement recommandé en effet aux Pholcus de s’attarder sur la toile après la fin de. la cérémonie nuptiale. Tous les récits des témoins, sans aucune exception, signalent les tentatives criminelles de la femelle pour ligoter et trucider l’infortuné mari dans les heures, parfois même dans les minutes qui suivent la séparation.
Le plus souvent, notre héros a tout juste le temps de s’éclipser, hanté qu’il est par la crainte de sentir subitement une mortelle ceinture de soie s’enrouler autour de ses pattes, il file sans demander son reste, négligeant même de faire ses adieux à sa compagne d’un moment. Mais. parfois, c’est la femelle qui parvient à prendre le malheureux de vitesse Comme elle juge nécessaire de faire dès maintenant une provision de protéines pour la fabrication de ses œufs. elle exécute le premier meurtre d’une longue série en emmaillotant, puis en poignardant et en aspirant le contenu de son propre mari.
Dans quelques temps elle portera quarante à soixante petits œufs jaune-rose en une énorme boule compacte qu’elle tiendra à pleine bouche et qu’elle promènera pendant trois semaines partout où elle ira. d’ailleurs elle n’ira pas bien loin, restant suspendue dans ses haubans.
Au bout de trois semaines, les jeunes Pholcus sortent de l’œuf avec l’aide de maman Pholcus qui cisaille avec ses pinces coupantes les mailles du chalut de soie dans lequel ils ont été emmaillotés. Après toutes ces semaines de jeûne, la bougresse se sent une faim de tous les diables et n’a plus qu’une hâte : boulotter suffisamment de mouches et de moustiques pour pouvoir entreprendre le plus tôt possible une deuxième ponte. Bon an mal an, elle fabrique ainsi deux ou trois cocons par an, contenant chacun 40 à 60 œufs. Oui mais, le rendez-vous avec le mâle ? Superflu ! Le sperme reçu lors du premier accouplement est loin d’avoir été totalement utilisé. Stocké en réserve dans une poche spéciale, soigneusement maintenu en état de vie ralentie, il est prêt à reservir à tout instant pour les pontes à venir !
Pas de danger
Le Pholcus à longues pattes est totalement inoffensif pour l’homme, guettant sans faire un mouvement, jour et nuit, au centre de son labyrinthe, le moment où une mouche, "” ou tout autre aviateur : viendrait buter de la tête et des ailes contre ses fils trébucheurs. Quand Pholcus s’offre un repas, il adore d’abord se faire un petit emballage cadeau, c’est plus fort que lui. Il embobine sa mouche sous des centimètres et des centimètres de soie, jusqu’Ã ce qu’elle devienne quasiment argentée : l’art de transformer ensuite ladite mouche en canette de soda, puis de la siroter pendant parfois près de quinze heures.
Source : le journal La Hulotte
c’est la revue qui vous raconte la vie des animaux sauvages, des arbres et des fleurs d’Europe. A la fois amusant et très rigoureusement documenté, il émerveille aussi bien les enfants que leurs parents.