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Ecrit le 26 mai 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Le soulèvement général prévu en juin 1832 ayant échoué, nos chouans continuent à répandre la peur dans les campagnes. Nous les avons laissés à Juigné au cours de la nuit du 8 juillet. Ils viennent de donner une leçon à un militaire en congé.
Troisième épisode
8 juillet 1832, dans plusieurs villages de Juigné-des-Moutiers (suite)
Poursuivant leur opération punitive qui semble inspirée jusqu’ici par des conceptions morales très strictes, ils vont s’en prendre à deux autres jeunes filles, domestiques de fermes, se réservant apparemment pour la nuit cette dernière opération plus que douteuse, même du point de vue de leur propre morale.
La nuit étant tombée, entre 10 et 11 heures du soir, ils frappent à la porte de la famille Herriaud, cultivateurs à la Haute Jonchère : un autre village près de la forêt, mais cette fois-ci au nord : en s’annonçant comme « militaires ».
François Herriaud leur ouvre la porte et découvre trois inconnus armés, mais sans uniformes, qui le bousculent tellement qu’il tombe à la renverse. Deux entrent et le troisième reste à la porte à faire le guet. Ils précisent leur statut de militaires : Vous croyiez que nous étions des bleus*, vous vous êtes trompé, nous sommes des chouans et vous allez y passer. Le but de leur visite ? Ils viennent chercher la domestique de la maison, désirée Ragereau. La forçant à se lever et à s’habiller, ils l’emmènent avec eux.
Ils s’en vont alors au village de la Lande et frappent à la porte de la famille Tethier-Renou, pour s’emparer d’une autre domestique de 24 ans, Renée Gicquel. Même scénario : ils l’obligent à se lever et à les suivre. En partant, ils n’oublient pas de menacer le chef de famille de le tuer s’il parlait.
Alors ils entraînent ces deux jeunes filles dans un bois et les obligent à se déshabiller et à se mettre entièrement nues. Tous les témoignages insistent sur ce point, car il est quasiment inconcevable, à cette époque et dans les milieux modestes, de se mettre tout nu devant quelqu’un, même un autre membre de la famille. L’une d’elles précise que la lune brillait et que l’on y voyait parfaitement clair.
Les deux filles vont subir un traitement différencié, comme s’il existait des degrés dans la sanction qu’elles méritaient. Ecoutons d’abord Renée Gicquel :
Lorsque nous fumes dans le bois de Cornouiller, ils m’ordonnèrent de me mettre à genoux et de dire mon confiteor, l’un d’eux m’a [menacée] avec son fusil puis ils me firent déshabiller et m’ôtèrent même ma chemise et pendant que j’étais ainsi nue ils me fouettèrent avec du houx ; plus tard, lorsque je fus habillée ils me battirent à coup de bâton.
désirée Rageneau, elle, n’est pas fouettée quand elle est nue. Elle n’est frappée de coups de bâtons qu’une fois rhabillée. Pourquoi cette différence de traitement ? A cette dernière, les chouans ne reprochent apparemment qu’une chose : Ces hommes sachant que j’avais servi des officiers cantonnés à la Jonchère, me dirent : nous allons t’apprendre à servir les bleus* et tu ne les serviras plus lorsque nous serons dans le bois de Cornouiller.
Ces filles terrorisées sont plusieurs fois menacées de mort. Après les avoir battues, les chouans annoncent qu’ils vont les jeter dans une carrière, mais était-ce bien leur intention ? Selon Renée Gicquel, lorsqu’ils ont entendu une voiture qui s’approchait, ils s’en allèrent et les deux filles purent rentrer chez leurs patrons.
L’un des patrons, François Herriaud, : leur seul homme qui accepte de parler aux enquêteurs dans cette affaire : témoigne sobrement de l’état d’esprit de sa domestique : lorsqu’elle revint, le jour commençait à poindre, et elle nous dit qu’elle aurait préféré la mort aux mauvais traitemens qu’elle avait endurés. Ce laboureur de 55 ans les accompagne le lendemain à l’hospice de Pouancé. En passant près de l’endroit où elles avaient été maltraitées, il vit les branches de houx qui avaient servi à les fouetter, avec leurs feuilles et leurs aiguillons.
Une autre voisine, Marie téthier, une fileuse de 45 ans demeurant à la Lande en Juigné, n’a rien vu, mais elle témoigne elle aussi : Le lendemain, sur les six heures du matin, je vis la fille Gicquel qui pleurait, était fort rouge et paraissait avoir la fièvre. Elle refusa de me dire ce qu’il lui était arrivé, mais prétextant un mal de tête, elle me pria de la remplacer à l’ouvrage qu’elle avait à faire ce jour-là .
Qui étaient les auteurs de tous ces actes ? Houssais prétend avoir reconnu Poulain et Beillaud. Herriaud, qui les connaît bien, affirme que ces deux-là ne sont pas rentrés chez lui. Mais, se sachant connus, ils sont peut-être restés à la porte à faire le guet ?
29 septembre 1832,
Saint-Julien-de-Vouvantes
Le boucher de St Julien, Jean Lameth, a déjà eu affaire aux chouans un an plus tôt. Le 28 août 1831, sur la route de St Julien à Juigné, il avait rencontré une bande de 25 à 30 chouans qui rentraient dans la forêt. Partisan du nouveau régime, il avait aussitôt informé le chef du détachement militaire de Juigné qui engagea immédiatement des poursuites. l’accrochage se fit près du château de la Jonchère et il y eut probablement des pertes du côté des chouans.
Ce jour-là , il allait chez le sieur Barthélémy, au village de la Salmonnaie, pour procéder à l’échange d’un bœuf. En chemin, il croise Poulain et un autre réfractaire, de manière apparemment fortuite, car ils ne sont pas armés. Poulain, reconnaissant le boucher, l’interpelle : Ah ! Te voilà !
Et s’emparant du bâton du boucher il se met à le frapper sur la tête et sur les épaules. Son camarade se met lui aussi de la partie, si bien le boucher déclare quelques instants après aux gendarmes : Pendant plusieurs minutes je semblais servir de jouet à ces deux scélérats qui me poussant de l’un à l’autre se disoient : frappes toujours, il n’en a pas encore assez.
Mais quand le sang se mit à ruisseler, l’un des chouans jugea la leçon suffisante : qu’il aille à présent, en voici assez pour cette fois. Sans oublier d’ajouter la menace habituelle : Gardes-toi bien de nous nommer car tu y passerais.
Cette scène se déroule en présence du fils Sauvaget, cultivateur à la Couardière, du meunier Theuret et de plusieurs autres habitants du village. Le boucher avoue : Ces individus demeurèrent spectateurs tranquilles de tout ce qui se passait.
Est-ce par peur des représailles ? Par indifférence ? Ou en approuvant secrètement la leçon donnée au boucher ? Nous ne le saurons pas et les gendarmes de St Julien se gardent bien de donner leur avis sur cette question délicate.
* Les Bleus : Pendant la Révolution, « les Bleus » désignaient le camp des républicains, s’opposant aux Blancs, défenseurs de la monarchie. Après 1830, l’expression désigne les troupes régulières qui stationnent dans la région, avec des détachements qui poursuivent les réfractaires et les bandes de chouans.
Prochain épisode :
Une vraie tentative d’assassinat du maire de Moisdon à l’orée de la Forêt Pavée.