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Ecrit le 15 septembre 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Lors du procès d’assises de 9-11 décembre 1833, tous les témoins ont été entendus et le jury se retire pour délibérer.
Quatorzième épisode
La délibération du jury
Dans cette salle des délibérations sont affichées en gros caractères les recommandations suivantes prévues par l’article 342 du code d’instruction criminelle :
La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus ; [...] elle ne leur fait que cette seule question : avez-vous une intime conviction ?
Ce qu’il est bien essentiel de ne pas perdre de vue, c’est que toute la délibération du jury porte sur l’acte d’accusation ; c’est aux faits qui le constituent et qui en dépendent qu’ils doivent uniquement s’attacher ;
Cette règle de « l’intime conviction » est toujours en vigueur aujourd’hui..
Le verdict
On ne sait pas combien de temps dure la délibération : le PV de la séance rédigé par le greffier-audiencier ne le précise pas. Les deux jurés suppléants, présents tout au long de l’affaire en cas de défaillance d’un juré titulaire, n’ont pas eu besoin d’accompagner les titulaires : peut-être frustrés tels des joueurs qui restent sur le banc de touche ou au contraire soulagés de ne pas avoir à condamner. Car on peut être intimement convaincu que les faits reprochés sont bien exacts, mais ne pas être d’accord avec la sentence qui en découle.
Les jurés de retour dans l’auditoire, le président demande les résultats des délibérations. M. désiré Delaunay, chef du Jury, s’est levé et la main placée sur son cœur après avoir dit : « sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, » lit la déclaration du Jury.
En résumé,
1. Poulain, seul, est déclaré coupable d’un « attentat » visant à renverser le gouvernement, mais le jury déclare qu’il a des circonstances atténuantes.
2. Jean-Marie Huet est déclaré coupable de « tentative d’attentat » contre le gouvernement, mais il a lui aussi des circonstances atténuantes.
3. Poulain et Huet sont coupables d’avoir « excité la guerre civile », toujours avec des circonstances atténuantes. Pierre Cadot est jugé non coupable de ce grief.
4. En revanche, les quatre accusés sont déclarés coupables de la tentative d’homicide volontaire, et avec préméditation, contre M. Maire. Le jury n’accorde les circonstances atténuantes qu’Ã Cadot : peut-être une « faveur » pour celui qui a dénoncé tous ses camarades.
5. Poulain et Cadot sont tous les deux coupables d’avoir blessé Ambroise péan, volontairement et avec préméditation, blessures entraînant une incapacité de travail de plus de 20 jours (les deux autres accusés ne pouvaient en être puisqu’ils étaient déjà arrêtés).
6. Huet est coupable des mêmes faits à l’égard de Leroux en décembre 1832 et Poulain est déclaré complice.
La mission du jury est terminée. Les juges professionnels reprennent la main sur la suite et ce sont eux qui appliquent les barèmes des peines prévues. Et la sentence est lourde. Ils appliquent l’article 302 du code pénal qui dispose que :
Tout coupable d’assassinat, de parricide, d’infanticide et d’empoisonnement sera puni de la peine de mort [] Toute tentative de crime qui aura été manifestée par un commencement d’exécution, si elle a été suspendue ou si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur est considérée comme le crime lui-même.
En cas de condamnation aux travaux forcés, le condamné subira une peine complémentaire : celle d’être exposé pendant une heure aux regards du peuple sur la place publique « avec un écriteau » portant en caractères gros et lisibles ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation ".
Mais l’article 463 précise les conséquences quand le jury accorde les circonstances atténuantes : la peine de mort est commuée en travaux forcés à perpétuité.
Poulain, Huet et Julien Louis dit Bouin sont condamnés à mort, sans qu’on sache très bien à quoi a servi la clémence du jury qui a accordé aux trois les « circonstances atténuantes » pour les deux premières incriminations. En réalité, ces trois-là sont condamnés à mort pour la seule tentative d’attentat contre le maire de Moisdon, alors qu’on n’est pas certain que chacun des trois a tiré puisque les témoins n’ont entendu au plus que six coups de feu pour huit participants. l’arrêt précise que les exécutions se feront sur l’une des places publiques de Châteaubriant.
Seul Cadot bénéficie d’un traitement de faveur en bénéficiant des circonstances atténuantes pour l’attentat contre M. Maire, alors qu’il reconnaît comme les autres y avoir participé. Il est tout de même condamné à vingt de travaux forcés, mais dispensé de l’exposition sur la place publique.
Une mise à exécution sans délai
Une décision de cour d’assises, à l’époque et jusqu’à une date récente, est sans appel. Il n’y a qu’un recours possible : le pourvoi en cassation. Nouvelle preuve que nos condamnés ont de soutiens puissants, un pourvoi est déposé, fondé sur des moyens qui nous restent inconnus. Mais, là encore, les avocats savaient bien que leur cause n’avait pas de chance d’aboutir. Le Pourvoi est rapidement examiné et rejeté le 10 janvier 1834.
Un homme, en revanche, bénéficiera de la grâce royale : la condamnation à mort de Jean-Marie Huet est commuée en travaux forcés à perpétuité par décision royale datée du 20 janvier 1834.
Les deux condamnés à mort qui subsistent ne vont pas traîner dans les couloirs de la mort : il faut juste le temps de transporter et d’installer la guillotine. Le mercredi 29 janvier 1834 est jour de marché à Châteaubriant. c’est ce jour-là qu’on dresse l’échafaud sur la place de la Motte, où se tient le marché. Manifestement, les autorités ont peur d’une réaction populaire, ce qui explique peut-être la précipitation de l’exécution. c’est le greffier du tribunal de Châteaubriant qui est chargé de dresser le procès-verbal de l’exécution, et il a pris la précaution de se cacher pour assister à l’événement ! Ecoutons-le :
Nous nous sommes transportés dans un pavillon ayant vue sur la Place dite de la Motte de cette ville, lequel nous a été désigné aux fins ci-après par M. le maire de cette ville, suivant son arrêté en date du 27 janvier présent mois ;
Et là , nous avons assisté en personne à l’exécution de l’arrêt criminel rendu par la cour d’assises de ce département, en date du onze décembre dernier et qui condamne à la peine capitale Jean Poulain et Julien Louis, dit Bouin.
Les condamnés ont subi leur peine vers onze heures du matin ; savoir le premier par ordre : Julien Louis et le second Jean Poulain.
Jean-Marie Huet attend un peu plus. c’est le 19 février suivant qu’il est exposé pendant une heure sur la place de la Motte. Le même greffier l’atteste d’une manière très sobre.
Quelques années plus tard...
Les tentatives des partisans de la monarchie légitime n’avaient plus aucune chance d’aboutir après l’arrestation à Nantes de la duchesse de Berry dans des conditions rocambolesques en novembre 1832. Les incidents qui se sont produits en 1833 se situaient déjà en dehors de débouchés politiques immédiats. Le régime bourgeois de la monarchie de Juillet n’avait plus à craindre de ce côté-là . c’est la révolte des Canuts de Lyon et la question sociale en général, liée aux débuts de l’industrialisation, qui va lui poser des problèmes et conduire à sa chute en 1848. Après 1834, les tensions s’apaisent donc dans l’Ouest et les autorités deviennent plus souples.
Le 30 août 1838, la peine de travaux forcés à perpétuité contre Jean-Marie Huet est commuée en réclusion perpétuelle. Puis le 27 avril 1840, il est dispensé du reste de sa peine. Il est donc libéré.
Quelque temps plus tard, le 22 juin 1840, Pierre Cadot, condamné à 20 ans, est dispensé du reste de sa peine et donc remis en liberté.
Huet et Cadot auront donc été en prison pendant un peu plus de six ans. Poulain et Bouin ne pourront bénéficier de cette indulgence tardive car la peine de mort n’est pas révisable...
Prochain épisode : un bilan ?
Nos chouans à St-Vincent-des-landes et à Erbray.