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Ecrit le 23 juin 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Après son incursion dominicale dans le bourg de Treffieux le 7 octobre, notre bande de chouans ne fait plus parler d’elle pendant deux mois. Nous les retrouvons en décembre à Soudan, puis à Erbray.
Septième épisode
7 décembre 1832, village de la Chèvre, Soudan
Ambroise péan, 45 ans, est un ancien militaire, devenu laboureur employé comme domestique chez les Poirier, au village de la Chèvre, commune de Soudan. Il loge chez ses maîtres, comme sa collègue, Julie Charron, 63 ans, qui est au service du père Poirier. Vers le milieu de la nuit du 6 au 7 décembre 1832, des étrangers qui lui étaient inconnus vinrent frapper à la porte de la famille Poirier. Julie Charron ne les connaît pas, mais ils ont affaire à péan qui connaît bien trois d’entre eux : il s’agit de Poulain, Beillaud et Cadot, qu’il nomme sans hésiter. Selon Julie, ils s’en prirent immédiatement à péan en disant : Allons-nous causer encore longtemps ? et Poulain lui porta un violent coup de bâton avant même qu’il puisse répondre. péan prit ce coup sur la tête, ce qui le fit tomber contre la porte et lui fit perdre connaissance. Toujours selon ce même témoignage, ils l’entraînèrent dans le jardin, continuèrent à le battre et le laissèrent pour mort.
Louise-Marie Poirier n’a que quatorze ans et elle travaille chez son père. Malgré son jeune âge, elle est invitée à témoigner devant le juge d’instruction de Châteaubriant près de six mois plus tard. Pour elle, il y avait six chouans. Et l’un d’eux appelé Brise-fer : le pseudonyme de Poulain : s’en prit le premier à péan. Ils sortirent dans le jardin avec Cadot et un troisième individu. Quand ils revinrent, les autres demandèrent si péan était mort. Brise-fer répondit non, il fait le mort, mais il ne mourra pas ; comme s’il avait l’habitude de doser les sanctions qu’il infligeait à ses victimes. Un autre témoin apporte encore des précisions : Jeanne Eveillard, une autre domestique de 45 ans, qui a été témoin de la scène, confirme bien qu’ils étaient six et que l’un d’eux a déclaré : nous allons rouster péan, sans qu’on en sache le motif. Un quart d’heure plus tard : selon ce dernier témoin : ils rentrèrent dans la maison de Poirier où le feu de cheminée n’était pas éteint. Brise-fer, dit-elle, approchant du feu un bâton couvert de sang et de cheveux dit alors des juremens horribles.
Tous ces chouans n’ont donc pas exactement le même comportement. Alors que Poulain se réjouit de son sadisme, Cadot et un autre font preuve de plus d’humanité. Ce sont eux qui vont rechercher péan au fond du jardin et qui le replacent dans son lit, comme en témoigne Jeanne Eveillard.
En fin de compte, c’est le témoignage de péan qui est le plus bref puisqu’il perdit rapidement connaissance et ne se souvient de rien. Mais il ajoute : J’ai été pendant 4 mois entiers sans pouvoir travailler et, fin août de l’année suivante, il souffre toujours de séquelles. En revanche, dans ce monde rural de taiseux sur tout ce qui concerne les divergences politiques, on ne sait toujours rien des raisons pour lesquelles les chouans lui en voulaient. On peut juste tenter de les deviner.
31 décembre 1832, dans le bourg d’Erbray
Il est environ 8 heures du matin quand trois hommes vêtus de gris entrent dans le cabaret tenu par Martin Colin qui cumule les fonctions de cabaretier et de laboureur, car la tenue d’un petit débit de boisson ne suffit pas à nourrir son homme, tant ces arrêts-buvettes sont nombreux dans chaque bourg et gros village. Ils sont à la recherche d’un maltoutier de passage : c’est ainsi qu’on appelle dans les campagnes de l’époque les agents des impôts indirects, que les hommes de loi appellent les « employés des droits réunis », à la suite d’une réorganisation des taxes pesant sur les boissons. Ils savent que celui-ci est passé là et comme il est reparti, ils demandent quel chemin il a pris. Colin a dû leur dire qu’il ne savait pas. Alors ils demandent à boire de la liqueur, mais le cabaretier n’en a pas. Ils ressortent alors puis, se ravisant, ils reviennent et demandent de l’eau-de-vie. Le cabaretier ne peut prétendre qu’il n’en a pas et il leur en sert mais en petite quantité précise-t-il, comme pour se justifier.
La version de Pourias est un peu plus complète. Jacques Pourias et sa femme Louis Carabin sont tailleurs d’habits et se déplacent de maison en maison pour fabriquer des vêtements sur mesure, une pratique qui existait encore dans les campagnes dans les années 1950. Ils sont justement en train de travailler chez Colin. Quand nos trois chouans reviennent la seconde fois, ils traitent Colin et lui de libéraux, une insulte dans leur bouche, mais qui montre qu’il s’agit bien d’un conflit politique.
– J’ai un bâton qui va servir, enchaîne l’un d’eux.
– Si tu ne t’en sers pas, je vais jouer du mien ! enchaîne le second, dans un ballet déjà bien rodé.
Et aussitôt après, le premier qui a parlé se jette sur le tailleur, et veut lui asséner un coup sur la tête qui est paré par le bras de sa femme, Louise Carabin. Celle-ci avait tenté un dialogue qui a vite tourné court :
– qu’avons-nous fait contre vous ?
– Vous vous sentez donc coupables ?
Et le premier coup est parti aussitôt. Les autres suivirent sur le tailleur qui était par terre.
Le docteur Delourmel diagnostiquera sur le tailleur de nombreuses plaies au visage, sur les sourcils, le menton, les pommettes des joues, le nez. Une seule forte contusion à l’articulation du poignet pour sa femme. Mais 12 à 15 jours d’incapacité de travail pour le tailleur et 8 à 10 pour sa femme.
Que fait Martin Colin pendant cet épisode ? Il assiste impuissant à la scène : j’ai voulu m’opposer expliquera-t-il plus tard, mais ils me menacèrent de m’en faire autant. Alors, ajoute-t-il, force me fut de rester tranquille. Celui qui frappait avait dans la poche de sa veste un pistolet dont je vis parfaitement la crosse. Ils arrêtèrent de frapper Pourrias quand l’un d’entre eux décréta c’est assez, comme s’il fallait respecter une échelle de sanctions prédéterminée.
Une fois ressortis du cabaret, vers les neuf heures, ils se mettent à la recherche de Barthélémy, le cordonnier. Ils rencontrent le boucher Pierre Leroux qui est occupé à tuer le cochon chez Louis Rimbert, dans une rue du bourg. Nos trois chouans : vêtus d’une étoffe brune, couverts de chapeaux et armés de bâtons : leur demandent où habite le cordonnier. Comme c’était dans une maison voisine, on leur donne spontanément le renseignement. Ils y entrent et en ressortent peu de temps après. Alors, sans motif apparent, ils se précipitent sur le boucher et l’apostrophent : Ah ! Tu dis que les chouans ont mangé ton lard ! Va donc fournir de la viande aux troupes... Celui qui louche lui assène alors un violent coup de bâton qui l’étend par terre. Puis ils continuent à le battre un moment. Bien qu’ils ne soient que trois, personne dans le bourg ne vient à leur secours.
Louis Rimbert veut défendre Leroux, mais il reçoit aussitôt un coup de bâton sur l’épaule droite. Alors il prend la fuite et l’un des chouans le poursuit en criant si tu ne t’arrêtes pas, je te tire un coup de pistolet ! De plus en plus effrayé, Rimbert entre dans l’atelier du maréchal ferrant Julien Bidet pour essayer de s’y cacher. Mais l’individu l’y poursuit et s’empare même d’un marteau pour le frapper. Comme l’écrivent joliment les gendarmes, Rimbert ne dut alors son salut qu’Ã la vitesse de ses jambes.
Quant à Leroux, les blessures sont plus graves sur la tête, sur les jambes et le bras droit. Il obtient une incapacité de travail de plus de vingt jours.
Perrine Lahaye, l’épouse du cordonnier Barthélémy, est bien sûrinterrogée puisqu’elle a reçu les chouans chez elle en l’absence de son mari. Et c’est en sortant de chez elle qu’ils s’en sont pris au boucher et à Rimbert, avec des informations qu’ils n’avaient pas en y entrant. Elle prétend pourtant ne rien savoir
Prochain épisode :
Nos chouans font encore une incursion punitive au village du Vieux Moulin à Soudan en mai 1833, mais ce sera l’une de leurs dernières car la justice va entrer en scène.