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Ecrit le 16 juin 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Après leur tentative d’assassinat du maire de Moisdon, nos chouans ont poursuivi leurs actes d’intimidation. Ce dimanche, ils cherchent à s’imposer dans un bourg qui ne leur est pas acquis, celui de Treffieux.
Sixième épisode
Dimanche 7 octobre 1832,
bourg de Treffieux
Le bourg de Treffieux est un gros village qui ressemble à beaucoup d’autres, mais c’est aussi un lieu de passage, car le grand pont de Treffieux, sur le Don, permet de rejoindre Nozay à Châteaubriant à toutes les saisons. Ces passages de voyageurs permettent un brassage de population qui font que les habitants de Treffieux, au moins ceux du bourg, sont sans doute plus ouverts aux idées nouvelles que d’autres bourgs plus isolés. En tout cas, pendant la Révolution et la guerre civile, Treffieux a été largement épargné et sa population n’a pas participé massivement au soulèvement de mars 1793. c’est dire que la population et la municipalité ont accueilli sans inquiétude le nouveau régime issu des journées de Juillet 1830. Autant dire que les fils de chouans n’y sont pas chez eux.
Est-ce pour affirmer leur contrôle du territoire rural qu’ils font une descente dans ce bourg le 7 octobre 1832 ? On peut le penser. On le suppose d’autant plus qu’ils débarquent dans le bourg un dimanche midi après la messe et qu’ils se dirigent directement vers la maison du maire, François Jambu. Celui-ci est un propriétaire exploitant, père de famille nombreuse : avec sa femme Marie Cadorel ils ont eu dix enfants et le dernier n’a pas encore un an. Il est expérimenté, car avant d’être maire il était l’adjoint du premier maire nommé à Treffieux, François Lefeuvre.
Quand un groupe de jeunes inconnus se présente chez lui, il leur ouvre sa porte. Mais laissons-le raconter lui-même comment il les a reçus la première fois :
Le dimanche sept de ce mois, étant à ma fenêtre, vers midi, je vois quatre jeunes gens que je ne connaissais pas, tous armés de bâtons, qui descendaient le bourg et se dirigeaient vers ma demeure. Ils étaient tous habillés en étoffe grise, leurs vestes étaient rondes, le colet renversé, les poches étaient placées sur le haut de la poitrine. Les gilets étaient de velours noir. Lorsqu’ils entrèrent je les invitai à s’asseoir ; ils me demandèrent à boire. Comme je ne refuse à personne, je répondis que j’allais leur en donner, ce que je fis de suite. Un instant après ils dirent qu’ils allaient manger la soupe et manger chez moi. Je leur dis que je ne les connaissais pas et que je désirais savoir qui ils étaient ; que l’on ne devait pas demander de cette façon. Ils me répondirent qu’ils étaient réfractaires. Je leur fis des observations sur leur conduite et leur dis qu’ils n’auraient pas dû se présenter devant le maire de la commune. Alors ils firent voir des pistolets de calibre qu’ils avaient dans leurs poches en dessous de leur veste, et l’un de ces brigands me donna un coup de bout de bâton dans la poitrine. Mes enfants se mirent à crier et les quatre brigands sortirent de chez moi ; et je restai dans ma maison.
Une fois sortis de la maison du maire, ils rencontrent François Martin, jeune menuisier de 27 ans, voisin des Jambu. Alerté par les cris des enfants du maire, il est sorti de chez lui avec son compagnon, Jean Chaplais. Les quatre individus avaient des pistolets et Chaplais reçut plusieurs coups de bâtons, même une fois à terre. Poursuivi lui aussi, le menuisier réussit à rentrer chez lui sans recevoir des coups. Mais un autre témoin qui s’est trouvé avec eux, Jean-Pierre Etienne, faillit recevoir un coup de pistolet presque à bout portant. Heureusement pour lui, seule l’amorce brûla et le coup n’est pas parti.
Le simple fait de résister en parole ne satisfait pas ces « soldats » réfractaires qui veulent manifestement marquer leur territoire. Aussi décident-ils de revenir l’après-midi chez le maire avec des moyens plus coercitifs. Ecoutons encore ce que François Jambu déclare aux enquêteurs :
Vers trois heures du soir, les mêmes brigands reviennent chez moi armés de fusils garnis de bayonnettes (sic). Deux entrèrent à la maison, les deux autres restèrent à la porte. Ils me demandèrent si cette fois-ci j’allais leur donner à manger. Je leur répondis que je ne leur avais pas refusé [le midi], et j’atteignis aussitôt de la viande que je plaçais sur la table. Les deux qui étaient dans la maison prirent bientôt la place de ceux qui étaient à la porte. Ils mangèrent chacun leur tour. J’étais d’abord allé leur tirer une cruche de cidre. Lorsque je fus chercher la seconde, un de mes enfants me supplia de m’enfuir. Il ouvrit une porte de derrière. Je me sauvai dans les champs. J’ai su lorsque je rentrais que mon enfant avait porté le cidre et qu’ils s’étaient retirés avant d’avoir vidé la cruche ; ils ont aussi déclaré à ma femme qu’ils me tueraient avant quinze jours.
L’épouse du maire, Marie Cadorel, confirme les déclarations de son mari.
Dans le cabaret de Boudet
Une fois sortis, ils décident de continuer à intimider la population présente dans le bourg. Ce dimanche après-midi, jour de repos, Jean Rimbaud et Jean Pelé avaient décidé d’aller boire une bouteille de vin dans le cabaret tenu par Boudet. A peine installés dans une salle qui contient déjà une dizaine de clients, ils se retrouvent nez à nez avec la bande qui sortait de la maison du maire. Après avoir donné trois coups de crosse à un domestique d’Abbaretz, il s’en prennent à Jean Pelé. Le coup de crosse qu’il reçoit dans la poitrine, asséné par un individu plus grand que la moyenne et portant des favoris roux, est suffisamment violent pour le faire tomber à la renverse. s’agrippant au fusil et suppliant son agresseur de ne pas le tuer, il reçoit plusieurs coups dans les reins de la part d’un autre membre de la bande. Enfin après avoir reçu deux autres coups sur la tête, il réussit à s’enfuir.
Le médecin qui accompagna la descente du juge d’instruction a rendu ses diagnostics. Pour la plupart des protagonistes, les dégâts ne sont pas très graves. Dans son rapport établi cinq jours après les événements, le docteur Picardière note des traces de contusion sur la poitrine du maire. Les plaies de Jean Pelé sont plus nombreuses : des plaies à la tête, à la poitrine, dans le bas du dos, mais elles sont en voie de guérison.
Le cas de l’ouvrier menuisier Jean Chaplais est plus grave. Au retour de Treffieux, la commission d’enquête s’est arrêtée chez lui au village de la Guidais, en St-Vincent-des-Landes. Chaplais, qui au dire de ses proches passait pour quelqu’un d’intelligent, leur a tenu des propos incohérents, incapable de donner la moindre précision sur le déroulement des événements qui ont causé ses blessures.
Le docteur Picardière a cependant pu établir son diagnostic :
– une large contusion au bras avec ecchymose et fracture du cubitus,
– une autre large contusion sur la partie avant gauche du crâne,
– un écoulement sanguinolent de l’oreille gauche.
Les blessures ne sont pas mortelles, mais il reconnaît une incapacité de travail de plus de vingt jours, et une bonne trentaine de jours pour le traitement de la fracture. Chaplais est-il atteint d’idiotisme selon le terme utilisé par le médecin, ou bien a-t-il peur de parler ? De nos jours on pencherait plutôt pour la seconde hypothèse.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que si cette bande de réfractaires a réussi à semer la peur à Treffieux, elle n’a pas réussi à rallier la population à sa cause et elle a même rencontré une résistance ouverte, avec des témoins et acteurs qui osent parler aux représentants de la justice.
Mais qu’en est-il dans les autres villages et bourgs du secteur ? Le fait est que cette bande qui s’est mise hors-la-loi doit se nourrir tous les jours et qu’elle ne peut le faire qu’avec des complicités nombreuses dans les campagnes.
Prochain épisode :
Nos chouans à Soudan et dans le bourg d’Erbray.