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Ecrit le 22 septembre 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Les plus déterminés des chouans ont été arrêtés et jugés : deux ont été guillotinés place de la Motte fin janvier 1834, et deux autres sont au bagne. L’heure du bilan politique a sonné.
Quinzième épisode
Quelques réflexions,
en guise de conclusion
Héros ou brigands ?
Je dois faire un aveu. En retranscrivant les renseignements contenus dans les PV de la gendarmerie ou du juge d’instruction, j’ai éliminé le plus possible les termes qui les condamnaient d’avance. Ces jeunes réfractaires, qui se définissaient comme des chouans, en référence à leurs parents de la génération précédente, sont communément qualifiés de brigands, de bandits ou de malfaiteurs : on ne dit pas encore « terroristes ».
Ce choix n’est pas arbitraire. En fait, tous les écrits que nous possédons sont écrits de la plume de ceux qui les ont poursuivis et condamnés. Par définition, nous n’avons aucun écrit émanant de ces jeunes qui ne savent « ni lire ni écrire ». Quant aux témoins, leur version orale dans un parler local qui nous échappe en partie est retraduite en français écrit. Il convient donc de garder une distance par rapport aux sources d’information. Le jugement distancié de l’historien n’est pas une dérobade, il est une ligne de conduite indispensable.
Brigands pour les hommes du pouvoir, ce sont des héros et des martyrs pour la cause qu’ils défendent. Voici un témoignage qui prouve les enjeux politiques de l’époque. Quelques années après ces événements, le 31 juillet 1838, le procureur du Roi de Nantes, M. Demangeat, s’adresse au procureur général près de la cour de Rennes. Il rapporte un entrefilet d’une feuille légitimiste La Quotidienne daté de 1836. Un marquis de la région, dont il ne donne pas le nom, a visité le bagne de Brest où Jean-Marie Huet avait commencé à purger sa peine. Il s’est fait un devoir de visiter les martyrs de la foi et de la royauté légitime et il s’est vanté d’avoir serré la main de l’héroïque Huet.
Ces jeunes, conditionnés par leur milieu resté profondément hostile à la philosophie des Lumières du XVIIIe siècle : hostilité renforcée par les excès de la Révolution : n’ayant comme seules références intellectuelles que les prêches de leur curé le dimanche, ont fait un choix qu’ils croyaient juste et se sont engagés dans une voie périlleuse : se mettre hors-la-loi, prendre les armes contre le régime, et donc mettre leur vie en péril.
Au risque de choquer, j’ai déjà comparé le choix de ces jeunes à celui effectué par les jeunes qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont refusé de partir au STO et ont préféré prendre le maquis. Ceux-là , nous les considérons aujourd’hui à juste de titre comme des héros. Le parallélisme n’est donc que de pure forme. Ce qui compte, ce n’est pas l’acte lui-même, mais sa finalité.
c’est tellement vrai que l’on considère communément que tuer un ennemi en temps de guerre est un acte de bravoure, alors que le tuer en temps de paix est un crime. Nos jeunes réfractaires se présentaient comme des militaires et se considéraient donc comme en guerre, même s’ils ne mesuraient pas les conséquences d’une nouvelle guerre civile. Fallait-il les condamner à mort une fois la paix rétablie et les risques de guerre civile écartés ?
On peut aussi les comparer aux jeunes islamistes radicaux qui, aujourd’hui, dans une large partie du monde, mènent le djihad et font la guerre aux autres civilisations, fondées sur d’autres religions ou philosophies. Ils s’appuient sur le même type de fondement idéologique : une religion figée sur des principes de vie fixés il y a de nombreux siècles, dans des sociétés méditerranéennes patriarcales.
Remarquons tout de même que nos réfractaires ont de la retenue dans leurs actions. s’ils ont fait le coup de feu contre la troupe et s’ils ont tenté d’assassiner un représentant de la bourgeoisie industrielle en plein essor : la Forge nouvelle de Moisdon : leur principale arme pour tenter d’imposer leur hégémonie dans les campagnes qu’ils sillonnent reste le bâton de houx ou de cerisier. Et ils mesurent les coups, sachant s’arrêter avant qu’ils ne deviennent mortels. En fait, s’ils ont des fusils, c’est plus pour se protéger et se faire craindre que pour attaquer.
Remarquons enfin qu’ils sont dirigés, même si on leur laisse un grand degré d’autonomie. où sont ceux qui les ont armés, qui leur ont fourni des vêtements qui ressemblent plus ou moins à des uniformes ? Ceux qui leur fournissent des avocats pour les défendre ?
où sont les vrais responsables ?
La duchesse de Berry
Le premier responsable de cette tentative avortée de soulèvement est incontestablement la duchesse de Berry, mère du duc de Bordeaux, que les monarchistes « légitimistes » considèrent comme l’héritier légitime du trône sous le nom d’Henri V. Contre l’avis de ses conseillers et même du roi Charles X qui a abdiqué en faveur de son petit-fils, cette aventurière exilée décide de rentrer en France et d’organiser un soulèvement pour renverser Louis-Philippe, considéré comme un usurpateur. Elle rêve de construire un rapport de forces comparable à celui de 1793 qui a failli renverser la République avec l’aide des troupes étrangères. Rentrée en France en avril 1832 par la Provence : où elle échoue à mobiliser : elle gagne la Vendée à la mi-mai. Sous son impulsion, ses lieutenants préparent un soulèvement général pour la fin mai, repoussé au 4 juin. D’où le rassemblement nocturne de nos chouans le 4 juin dans un village isolé entre Le Petit et le Grand-Auverné. Mais la duchesse s’est trompée sur toute la ligne : les situations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ne sont plus du tout les mêmes, les populations rurales, ne se sentant pas menacées, ne sont pas prêtes à recommencer les guerres de Vendée ou la guérilla des chouans, d’autant plus qu’elles se souviennent comment elles se sont terminées.
Jean Terrien, dit Cœur de lion
Le seul chef historique qui apparaît furtivement dans tout ce dossier est le fameux Jean Terrien, dit cœur de Lion. Lors du rassemblement nocturne que l’on vient de citer, c’est lui qui fait le recensement des troupes mobilisées. Cet ancien chef de la chouannerie pour toute la région de Châteaubriant est encore là quarante ans plus tard. Honoré, pensionné en tant qu’ancien « colonnel », et même anobli sous la Restauration, il mène une vie bourgeoise entre Nantes et Riaillé où il exerce la fonction de percepteur du canton de Riaillé.
Refusant comme beaucoup d’autres de prêter serment de fidélité au nouveau régime en 1830, il a quitté sa fonction de percepteur en emportant les 6 000 F de la caisse de la perception ! En 1831, il sillonne les campagnes de la région et c’est lui qui dirige l’attaque contre la troupe le 30 août 1831 à la Jonchère, laissant un mort et quatre blessés du côté de l’armée. Malgré les efforts de l’administration pour l’arrêter, il est introuvable, bénéficiant de complicités multiples et se montrant peu personnellement. Au moment du débarquement de la duchesse de Berry, il est sous les ordres du maréchal de Bourmont : celui-là même qui vient d’envahir l’algérie au nom de la France : et qui est resté le véritable chef légitimiste de l’Ouest. Celui-ci saura fuir à l’étranger quand le soulèvement qu’il a préparé échoue piteusement. Terrien, lui, reste dans la région et continue à se cacher. n’ayant sans doute pas de preuves assez bien établies, la cour d’assises de Blois, qui le juge par contumace car la gendarmerie n’a jamais réussi à le saisir, l’acquitte le 24 février 1834.
Après cette période agitée et fort de son acquittement, il mène une vie bourgeoise dans un appartement au 17 de la rue St André à Nantes, avec ses deux filles et une domestique. Il continue bien sûrà fréquenter les milieux légitimistes dans ce quartier de la cathédrale et de la place Louis XVI qui semblent leur appartenir. Il meurt dans son lit le 23 décembre 1855 à l’âge de 89 ans. C’était lui le chef direct de Poulain et Huet qui ont payé à sa place. A son enterrement dans l’église Saint-Clément, le comte de Chambord, prétendant légitimiste au trône, délègue deux représentants : Monti de Rezé et Hersant du Buron.
Dernier épisode :
fin du bilan et sources.