Ecrit le 1 septembre 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Quatre de nos chouans sont traduits devant la cour d’assises. Poulain passe une première fois avant les autres pour des faits antérieurs.
Douzième épisode
Le premier procès de Poulain (suite)
A la première question portant sur le fait de savoir s’il est coupable d’un attentat consistant à provoquer la guerre civile, le jury répond « non ».
A la question subsidiaire, portant sur le fait de savoir s’il y a eu tentative d’attentat, le jury répond « oui » à la majorité de plus de sept voix (sur 12).
A la question « Est-il coupable d’avoir porter la dévastation, le massacre et le pillage ? », la réponse est non ; en revanche, il est jugé coupable de l’avoir tenté.
A toutes les autres questions, le jury répond « non ». En particulier, Poulain n’est pas jugé coupable de la mort des militaires, ni d’avoir participé à un guet-apens.
Mais les deux réponses positives du jury sur les tentatives d’incitation à la guerre civile et au pillage sont suffisantes pour que le ministère public réclame la peine de mort. Alors plusieurs membres du jury, et le chef du jury lui-même, font remarquer qu’ils n’ont pas délibéré sur les circonstances atténuantes.
l’affaire est capitale : en cas de crime contre la sûreté intérieure de l’État, la peine de mort est transformée en détention ou en déportation si le jury accorde les circonstances atténuantes. Le président accepte alors que le jury rouvre les débats, après la lecture publique des réponses du jury, et celui-ci se prononce alors en faveur des circonstances atténuantes, toutes questions confondues. d’où la phrase rajoutée après coup, au bas du questionnaire : Le jury déclare à la majorité de plus de sept voix qu’il existe des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé.
Poulain échappe donc, cette première fois, à la peine capitale. Mais cet incident ne convient pas au procureur qui engage un pourvoi en cassation pour non-respect des règles de procédure et pour abus de pouvoir du président de la cour d’assises.
La cour de cassation répond dans un délai très bref, le 2 janvier 1834, d’une manière que seuls les juristes sauront apprécier :
– d’abord, elle considère que ce recours est non recevable, donc nul et non avenu, car le ministère public ne peut engager un recours de ce type contre un arrêt de cour d’assises qu’en cas d’acquittement.
– Mais, comme elle considère qu’en rouvrant les débats du jury, après que le verdict ait été prononcé publiquement, il y a eu effectivement abus de pouvoir et violation de la chose jugée, la Cour casse et annule, mais seulement dans l’intérêt de la loi l’arrêt du 5 décembre.
Cette décision n’a aucun effet pratique sur la destinée de Poulain, comme on ne tardera pas à le voir, mais cet arrêt de cassation qui est imprimé fera jurisprudence et les présidents de toutes les cours d’assises de France sauront désormais qu’on ne peut rouvrir les débats d’un jury, après le prononcé de la sentence.
Les trois autres accusés
Julien Louis, dit Bouin, comme nous le savons, n’est pas originaire du département, mais de l’Ille-et-Vilaine voisine. Il avait trouvé un emploi chez un gros laboureur de Moisdon et travaillait quelquefois seul, mais le plus souvent avec d’autres domestiques. Son casier, comme celui de Poulain, est déjà chargé. Il a été condamné le 27 mars précédent à cinq années de détention et l’on a déjà évoqué son transfert du Mont St Michel à Châteaubriant. Enfant légitime comme tous les autres, il ne sait ni lire ni écrire. Comme il a déjà été condamné pour des faits similaires, le principal chef d’inculpation qui pèse contre lui est la tentative d’attentat contre le maire de Moisdon.
Jean-Marie Huet est né le 3 mai 1810 à Saint-Julien-de-Vouvantes. Son père, Jean Huet, est charron dans le village de la Riollais, non loin de la forêt de Juigné. Avant de passer à la clandestinité, il travaillait avec son père. Jean-Marie Huet, indique sa fiche de renseignement, « exerçait réellement la profession de charron, et travaillait habituellement avec son père ; il ne cessa de travailler qu’Ã l’époque où il prit part à la chouannerie. » Enfant légitime de parents qui n’ont jamais eu affaire à la justice, c’est lui aussi un enfant du pays qui sait « lire et écrire mais d’une manière imparfaite ». On voit qu’une famille d’artisans éprouve le besoin d’apprendre à lire à ses enfants, plus que dans les familles paysannes des villages. Pour lui comme pour Poulain, 75 témoins ont été entendus sur les différentes affaires dans lesquelles on les accuse d’avoir trempé.
Quant à Pierre Cadot, il est né le 13 juin 1811 dans le village de Courbauteau à Juigné-des-Moutiers. Son père est charbonnier : il fabrique du charbon de bois dans la forêt : et déjà âgé au moment de la naissance de son fils puisqu’il a 54 ans. On sait que ce dernier s’est lui-même constitué prisonnier début mai 1832 et qu’il a donné les noms de ses camarades. Un traître à une cause à laquelle il ne croit plus ? Ou un repenti qui s’est aperçu qu’il s’était laissé entraîner dans une impasse ? Il a peut-être eu le tort de naître dans une petite commune marquée par la proximité de la forêt et qui a été l’un des foyers d’origine de la rébellion. Dans sa fiche, il est le seul à être qualifié de « bon domestique », mais on cherche peut-être déjà à influencer le jury pour solliciter sa clémence. On ajoute aussi qu’un de ses frères a été condamné le 4 mai dernier à deux années d’emprisonnement pour coups et blessures.
Le déroulement du procès
Lundi 9 décembre 1833, à 10 heures du matin
La cour d’assises de la Loire-Inférieure siège dans l’imposant hôtel Rosmadec, rue de la commune à Nantes : c’est aujourd’hui l’un des éléments architecturaux constitutifs de la mairie de Nantes. La séance s’annonce exceptionnelle quant à la participation des témoins et du public.
La cour proprement dite est composée du président M. Delamarre, conseiller de la cour royale de Rennes, assisté de M. Colombel, président du tribunal de première instance de Nantes et de M. Marion, juge de ce même tribunal. Le ministère public est représenté par M. Dufresne, substitut du Procureur du Roi, assisté de Me Delaunay qui a été commis greffier.
Installation du jury et mise en scène
Le jury est composé de douze membres tirés au sort sur une liste de 30 noms établie par la Cour de Rennes, à partir des listes d’électeurs fournies par les préfets. Nous sommes encore sous le régime censitaire, bien qu’il se soit un peu élargi en 1830. Les membres du jury seront donc surtout des propriétaires vivant de leurs rentes ou des commerçants. Cette liste a été fournie la veille aux accusés et à leurs conseils pour qu’ils puissent se préparer à récuser certains d’entre eux qui pourraient leur paraître trop hostiles à leur cause. Mais le ministère public peut aussi en récuser certains, dans la limite du nombre de jurés disponibles et présents en début d’audience. Trente jurés sont donc présents et il faut en choisir douze, plus deux suppléants. Les accusés et leurs conseils ont choisi Poulain et son avocat Besnard de la Giraudais pour exercer leur droit de récusation. En réalité seul l’avocat exercera ce droit car Poulain ne doit pas connaître beaucoup de ces bourgeois qui ne sont pas de son monde. Le conseil des accusés récuse neuf jurés, et le substitut en récuse sept. Il en restera juste le nombre nécessaire, doit douze jurés et deux suppléants.
Prochain épisode
Les suites du déroulement du procès d’assises.