Ecrit le 10 avril 2013
Certificat de 1948
gérard Hamon est né en 1934, il a passé son certificat d’études en 1948 dans la commune de Moisdon. Son père, forgeron, maréchal-ferrant, a tout prévu pour le lendemain du certificat d’études : direction l’atelier, comme mes frères avant moi. « J’ai eu le droit de porter la culotte longue que ma mère avait préparée : je devenais un homme. J’aurais voulu être fermier mais on ne discutait pas les ordres paternels et nous devions remplacer les ouvriers que mon père employait ». Le père était un maître très dur . « C’était l’époque où les ouvriers étaient fiers de leur métier. Il arrivaient le matin à vélo, après avoir parcouru plusieurs kilomètres, en bleu de travail. Pas question de retourner chez eux le midi : ma mère leur faisait le déjeuner ». Dès le matin, la mère était très occupée : les clients arrivaient tôt, les rouliers, employés des meuniers, faisaient ferrer leurs chevaux en partant en tournée.
Le métier de forgeron était très varié : des roues des charrettes à la réparation des marmites, ferrage des chevaux puis, après la guerre, entretien des charrues, faucheuses, moissonneuses lieuses, l’ensemble des outils de l’agriculture. A l’atelier, les ouvriers fabriquaient des haches, des coins à fendre les buches, des marteaux, des masses, des fers de brouettes, des socs de charrue « Pendant la guerre, on réparait même des chaudrons, en y mettant des joints en farine de froment : cela ne bougeait pas pour le reste de la vie ! » se souvient gérard. « Pendant la guerre aussi, on ferrait les sabots de bois des gens en y mettant des clous à tête carrée, appelés maillettes, inventés par les sabotiers de Locminé ».
Le travail le plus intéressant, c’était la fabrication des fers pour les roues en bois. « On achetait des barres de 6 mètres à la maison Dauffy à Châteaubriant : le père Jules venait nous les livrer avec sa charrette à cheval, une remorque et deux ouvriers. Il livrait aussi le charbon de forge, un charbon très flambant dégageant une forte chaleur pour chauffer sans difficulté des sections importantes ».
Les ouvriers mesuraient la circonférence de la roue à l’aide d’une roulette, puis ils donnaient à la barre de 6 mètres, épaisse de 3 centimètres environ, la forme d’un cercle, en utilisant une enrouleuse à cylindre maniée à la main. Le cylindre, en appuyant très fortement sur la barre de fer, lui donnait l’arrondi nécessaire. Le « spectacle » se déroulait sur la route, car il fallait disposer de place pour manier ces fers de 6 mètres de long ! Mais, en ce temps-là , les véhicules étaient rares sur les routes
" Le cintrage durait deux bonnes heures. Une jauge nous permettait de savoir si la circonférence était bonne.
Quand c’était fini, les deux bouts étaient travaillés de façon à emboîter l’un dans l’autre, puis ils étaient chauffés à blanc, posés sur l’enclume, martelés pour que les deux morceaux se fondent en un seul ", se souvient gérard.
Il fallait ensuite percer des trous à intervalles réguliers dans les cercles pour y passer les boulons qui fixeraient le cercle sur la jante.
En attendant que le fer soit prêt, le charron avait préparé ses roues. Elles étaient placées dans la cour, horizontalement, bien calées. Une réserve d’eau se trouvait à proximité. Le jour venu, on mettait les cercles de fer debout dans le four vertical, séparés par des fagots de bois et on les chauffait pour que le métal soit rouge.
« Souvent l’arrosage ne suffisait pas, nous avions donc une fosse remplie d’eau où nous pouvions tremper la roue. On tapait en face de chaque raie (rayon) de la roue pour que l’ensemble tienne bien avec le moyeu ».
Photo : gérard Hamon
châtrer les roues
Quand les charrettes prenaient de l’âge, les roues en bois se rétractaient. L’été, les paysans mettaient les charrettes dans l’eau pour regonfler le bois mais, au fil des années, cela ne suffisait pas. « Nous pouvions alors châtrer les roues » raconte gérard Hamon. Cela consistait à chauffer très fort le cercle de fer et à diminuer la circonférence.
G.Hamon chauffait ses cercles verticalement, il y avait un autre forgeron, à Moisdon, qui les chauffait à plat en installant du bois tout autour du cercle et en y mettant le feu. « Quand j’ai trouvé mon épouse, Alice, à Fresnay-en-Retz, j’ai vu que, là -bas, ils chauffaient aussi les fers à plat, en utilisant du bousa : un combustible fait avec de la bouse de vache »
Minotiers et rouliers
En ce temps-là , il y avait deux minotiers à Moisdon, Etienne Lerat et Pierre Pichot. Ils sillonnaient la campagne pour ramasser les céréales et livrer de la farine, avec deux chevaux et une charrette. « Ils s’arrêtaient ici pour ferrer leurs chevaux et, pendant ce temps-là , ma mère faisait la soupe pour les rouliers. Mes frères et moi, nous n’avons quasiment jamais mangé tranquilles le matin : il y avait toujours du monde chez nous. Une formidable école de vie » dit G.Hamon.
Après son certificat d’études, tout en travaillant chez son père, gérard Hamon a suivi les cours artisanaux, proposés par la Chambre des métiers du département : tous les samedis pendant l’hiver, sur 2 à 3 ans.
J’ai appris la machine agricole
« La spécialisation s’imposait ; J’ai appris la machine agricole, les moissonneuses lieuses par exemple, il fallait savoir régler les noueurs ». gérard Hamon obtient son C.A.P. de machinisme agricole à 17 ans. Le forgeron disparaissait
« Plus tard, à l’armée, en Algérie où j’ai passé 28 mois, j’étais affecté au »train« , rien à voir avec un chemin de fer ! Je m’occupais des chevaux. Avec mes camarades nous couchions sous tente, sur des bottes de paille, il y faisait très froid la nuit. J’ai été chargé de ferrer les chevaux des officiers et de faire le tour des pitons pour ferrer les mulets qui portaient les armes : un mulet = quatre fers = une heure. Il nous arrivait de ferrer les chevaux de colons : la gratification que nous recevions nous permettait d’acheter à manger et c’était nécessaire »
Tenir les pieds de chevaux, c’est lourd ! « Moi je me suis payé une hernie étranglée. J’avais si mal que j’ai demandé de l’aide aux vétérinaires qui opéraient les cochons ! Finalement j’ai été opéré à l’hôpital d’Alger ». Plus tard, pour son usage personnel, gérard a acheté un « travail » (dispositif qui permet de tenir les pieds des chevaux)
De retour de l’armée, à 24 ans, en décembre 1958, gérard Hamon reprend l’atelier de son père. Les tracteurs, qui avaient fait leur apparition depuis la fin de la guerre, se développaient, il fallait évoluer. « J’avais l’occasion de rencontrer de jeunes artisans comme moi, nous avons envisagé de faire une société, une coopérative, et de prendre une marque de matériel. Dans l’immédiat nous avons acheté en commun la ficelle de lieuse au MAC (matériel agricole castelbriantais) et ensuite chez Sauvager (qui à l’époque vendait du grain et des engrais à Rougé et faisait venir la ficelle par wagons). Je me souviens : un sac de ficelle faisait 6 pelotes. Nous nous sommes tous entendus pour vendre les fers à cheval au même prix ». En ce temps-là on ferrait même les vaches qui boitaient.
« Puis nous avons créé la SOCOMO (SOciété COopérative de MOtoculture) : nous étions 9, dont deux de Moisdon, un de St Julien de Vouvantes, un de la Meilleraye Nous avons obtenu la concession John Deere : c’était important, nous n’avions plus besoin d’aller au MAC ». Au début chaque artisan travaillait chez lui, puis, début 1968, le groupe a loué un atelier à Nort sur Erdre. « Nous faisions mécanique, serrurerie, ferronnerie, soudure. Rampes, balcons, attelages, trayeuses : tout nous passait dans les mains et nous avions de bons ouvriers ».
Ensuite le groupe s’est « effouilleu » : « Nous n’étions plus que 4, nous avons pris 3 salariés comme sociétaires et nous avons mis nos ateliers en commun, pour une organisation plus rationnelle. Ainsi est née la COPEMA, Coopérative Ouvrière de Production et d’Entretien du Matériel Agricole ». Ce fut une période difficile par manque de financement. La COPEMA s’occupait des salles de traite, de matériel d’irrigation, d’ensileuses, des congélateurs (c’était le début et cela marchait bien). Finalement la COPEMA est devenue en 1974 une filiale de la Coopérative CANA sous le nom de Sicadima. « Cette structure existe toujours » dit gérard Hamon .
Avec le temps il reste la fierté d’un métier bien maîtrisé et d’une vie de travail marquée par l’initiative , l’audace, le goût du travail bien fait.
Recueilli par B.Poiraud
La guerre ? J’en ai quelques souvenirs, dit G. Hamon.
« Les Allemands occupaient notre maison, ils logeaient dans ce qui est maintenant la salle à manger. Ils étaient deux en permanence dans l’atelier de mon père dont ils avaient réquisitionné une partie pour ferrer leurs chevaux. Ils avaient aussi annexé le hangar du maçon voisin comme écurie ».
« Ils étaient gentils avec les enfants et nous donnaient des bonbons ... que nous jetions ! »