Ecrit le 25 mai 2016
Dans le vieux hangar tout encombré d’outils, le marteau fait sonner l’enclume et le forgeron est ravi. Nous sommes chez Georges Chatelier au Petit Auverné. né en avril 1943, il se souvient
« Mon père est arrivé au Grand Auverné en 1929, il s’est installé dans une forge au village de La Grand Haie. En ce temps-là il y avait déjà trois autres forgerons au Grand Auverné et du travail pour tout le monde. L’hiver, mon père ferrait les chevaux. Toute l’année, il fabriquait ce qui était nécessaire pour les fermes des alentours ». Ce pouvait être les chaînes pour attacher les vaches, ou les « devant des crèches » de l’étable, et toutes les réparations d’outils métalliques, notamment les socs de charrue. Avant la fenaison, il fallait assembler ou réparer les faucheuses, les faneuses. Avec les pièces de bois réalisées par le charron, le forgeron ferrait les tombereaux et châtrait les roues des charrettes.
« Dès que j’ai pu, j’ai ’’donné la main’’ à mon père, le soir en revenant de l’école. J’avais 12 ans environ, j’étais fort ! Je l’aidais à fabriquer les fers à cheval ».
Un fer à cheval se fait avec un morceau d’acier (un ’’lopin’’) d’un centimètre d’épaisseur environ. « Une émouture » comme on disait. Ce morceau venait souvent d’une chute de bateau. On l’achetait à Candé, à Pouancé ou chez Dauffy à Châteaubriant. La longueur était fonction du sabot du cheval, il y avait du 1 (pour les petits chevaux) et plus souvent du 2, du 3, du 4. Le forgeron savait s’adapter, mesurant la longueur nécessaire à l’aide d’un réglet et coupant le lopin à l’aide d’une ’’tranche’’.
Photo : Marie-Madeleine et Georges
Le fer à cheval
« La forge de mon père utilisait du charbon de forge qu’il achetait chez le fournisseur de fer, du charbon très flambant et dégageant une forte chaleur, ce que n’aurait pu faire le charbon de bois. Le fer à cheval se faisait en deux parties. La première moitié du morceau de fer était chauffée au rouge, 1300°, on la tenait avec des tenailles. La main du forgeron est peu sensible à la chaleur ! Puis, sur l’enclume, on ’’tournait le fer’’. C’est moi qui le faisais. Quand le fer était prêt, mon père faisait sonner l’enclume trois fois avec son marteau et moi je frappais. Ensuite on chauffait l’autre moitié du lopin pour terminer le fer à cheval. Il restait à le chauffer encore pour y faire des trous avec une étampe et ne pas oublier de déboucher les trous pour y passer les clous ». Les étampures devaient être percées régulièrement pour que le poids du fer soit bien réparti et que les clous soient suffisamment et régulièrement espacés pour éviter l’éclatement de la corne.
Le fer à cheval comporte plusieurs parties, notamment la pince (ou pinçon), les mamelles, les quartiers et les éponges. « Mon père tirait la pince après : il faisait encore chauffer le fer et étirait le métal pour faire un petit bec assurant la stabilité du fer sur le sabot ». C’est tout un art car les fers sont de formes différentes s’ils sont prévus pour les membres antérieurs ou postérieurs et s’ils sont placés à droite ou à gauche. Le fer antérieur est de forme générale arrondie, il a souvent un pinçon. Le fer postérieur est de forme générale ovale, il a souvent deux pinçons et les étampures sont placées différemment.
Pour que ce fer soit confortable pour le cheval, le forgeron réalisait encore quelques opérations : sur la partie en contact avec le sol, il râpait les éponges à chaud. Sur la partie en contact avec le sabot il effectuait un « chanfrein », plus marqué aux extrémités, appelé le « fil d’argent ».
Faut pas croire : un fer à cheval n’est pas symétrique ! Il a une branche externe un peu arrondie avec les étampures plus vers l’intérieur, et une branche interne plus droite avec des étampures plus vers l’extérieur.
« Mon père était forgeron-mécanicien agricole. A cette époque, les paysans n’étaient pas bricoleurs, ils ne réparaient rien eux-mêmes. Ils venaient nous voir pour réaliser des bas de portes, des ferrures de portes, pour ferrer les crèches et réparer les dents de la faucheuse et bien sûr : châtrer les roues ».
Châtrer les roues
Autrefois les roues étaient en bois. Un bandage en fer y était posé à chaud. En refroidissant, le fer se rétractait, assurant la solidité de l’assemblage et limitant l’usure. Mais lorsque la roue vieillit, le bandage prend du jeu, il faut donc le re-serrer. On enlève alors le bandage, « le forgeron mesure la circonférence avec une roulette et prépare le cercle de fer pour qu’il fasse 27 millimètres de moins » explique Georges Chatelier. Il faut alors chauffer le cercle de fer pour qu’il se dilate et le poser brûlant autour de la rue de bois. Nous faisions cela à trois, mon père, ma mère et moi. « . Cela se faisait au lieu-dit » La Croix « , à la Grande Haie. » Quand il y avait des roues à châtrer, on posait les cercles de fer, les uns sur les autres, calés sur des petits morceaux de fer et on disposait des fagots qu’on enflammait. Quand le cercle était rouge, nous le posions autour de la roue et nous arrosions pour que le fer se re-serre. Mais il était encore bien chaud, mon père plongeait alors la roue dans la mare d’eau qui se trouvait juste à côté, le moyeu sur la berge de la mare et il faisait tourner la roue dans l’eau « . Quand son père est décédé, il avait encore 13 roues en commande. » C’est moi alors qui ai fait tourner les roues dans l’eau " dit Georges
En savoir plus sur le cerclage des roues
Beaucoup d’artisans
Ce métier de forgeron était un métier dur, mais c’était aussi un métier permettant de nouer de solides amitiés. Il complétait le travail de charron. « A l’origine, le charron faisait les charrettes et des tombereaux, en bois. Mais la qualité de son travail l’a vite orienté vers les tâches de charpentier, il savait aussi faire des portes et fenêtres à la dimension souhaitée, et fabriquer les hangars agricoles, reposant sur de lourds poteaux de bois, eux-mêmes posés sur un dé de béton ». A l’époque, se souvient Marie-Madeleine Chatelier, « il y avait environ 630 habitants au Petit-Auverné en 1954 (425 maintenant), 2 forgerons, 3 charpentiers, 2 menuisiers, 4-5 épiciers, 4 cafés, 1 boulanger, 1 boucher-charcutier, 1 charcutier, 3 coiffeuses, 3 couturières dont une avait des ouvrières. Cela a duré jusque vers 1970. Les temps ont bien changé » dit-elle.
Les choses ont bien changé en effet. Les agriculteurs achètent maintenant des pièces détachées et les posent eux-mêmes ; les menuisiers ne fabriquent plus les portes : ils les achètent tout prêtes, en plastique ou en carton ; les congélateurs remplacent le boucher du coin ; les tombereaux n’existent plus, les charrettes sont métalliques et montées sur pneus ; le tracteur a remplacé la traction animale.
et personne n’a plus le temps de rencontrer ses voisins.
Georges Chatelier a aimé ce métier de forgeron pour lequel il s’est formé à Moisdon, Châteaubriant, et Nantes (Chambre des métiers) et qu’il a exercé avec son père, puis seul, jusqu’Ã son service militaire. Il en parle encore avec enthousiasme, le sourire dans les yeux.
Photo : L’enclume de Georges
« Et puis je suis allé travailler, début 1961, à Corbeil, après avoir eu mon CAP de forgeron-mécanicien-agricole, dans une entreprise de réparation de matériel agricole qui faisait l’entretien des machines des grosses exploitations céréalières. J’ai vu les vastes champs, la culture intensive, les gros tracteurs. J’y suis resté six mois, jusqu’Ã la mort prématurée de mon père et j’ai repris la forge jusqu’Ã mon service militaire. On me demandait encore de châtrer des roues mais j’avais compris que le métier était fini. De retour dans la vie civile, j’ai acheté un camion d’occasion et je suis devenu transporteur, pour nourrir ma famille et mes six enfants ».
Grelinettes
Voici venu le temps de la retraite. Georges s’est remis à l’enclume, pas celle de son père hélas (que sa mère avait vendue) mais une autre qu’il a achetée. Tiens, le savez-vous ? L’enclume de forgeron n’est pas la même que l’enclume de serrurier. L’une des bigornes de l’enclume de forgeron est carrée, tandis que celle du serrurier est pointue.
Georges a maintenant une enclume de serrurier sous la patte de laquelle il a placé un bouchon de liège, pour que l’enclume carillonne. « Un forgeron du Grand Auverné, autrefois, avait ainsi une enclume très sonore. Quand il commençait son travail à six heures du matin, il servait de réveil à tout le bourg ».
Sur son enclume posée sur un lourd billot de bois, Georges fabrique maintenant des Grelinettes à plusieurs doigts, un instrument magique aérant la terre sans avoir besoin de labourer. « Nous avons des amis dont la terre est morte et qui ajoutent de nombreux engrais et désherbants. Avec la Grelinette, on soulève la terre, on l’émiette, donnant de l’espace et de l’ardeur aux vers de terre qui font tout le travail de fertilisation. Par exemple, quand je mets des fougères sèches sur la terre, l’hiver, les vers de terre s’en occupent et, au printemps, les fougères ont disparu ».
Georges Chatelier fabrique donc des grelinettes quand cela lui chante, trois doigts, quatre doigts, cinq, six, sept à la demande. Il a perfectionné le système (et breveté) en plaçant un arceau à l’arrière, pour faciliter l’enfoncement avec le pied et servir d’appui pour soulever la terre sans fatigue. Et, le week-end, il se rend avec son épouse aux manifestations des jardiniers, à Chinon, à La Turballe pour la fête des jardins (premier week-end d’avril), à Changé-ô-Jardin, au Château du Pin à Champtocé (28-29 mai 2016), partout sa Grelinette fait merveille.
Et l’homme est heureux de travailler de ses mains, de rencontrer des gens et de faire toujours œuvre utile.
Contact : 02 40 55 50 11
Poème
Le forgeron travaille et peine,
Au long des jours et des semaines.
Dans son brasier, il a jeté
Les cris d’opiniâtreté,
La rage sourde et séculaire ;
Dans son brasier d’or exalté,
Maître de soi, il a jeté
Révoltes, deuils, violences, colères,
Pour leur donner la trempe et la clarté
Du fer et de l’éclair.
Son front
Exempt de crainte et pur d’affronts,
Sur des flammes se penche, et tout à coup rayonne.
Devant ses yeux, le feu brûle en couronne
Ses mains grandes, obstinément,
Manient, ainsi que de futurs tourments,
Les marteaux clairs, libres et transformants
Et ses muscles s’élargissent, pour la conquête
Dont le rêve dort en sa tête. ()
Il est l’incassable entêté
Qui vainc ou qu’on assomme ;
Qui n’a jamais lâché sa fierté d’homme
D’entre ses dents de volonté ;
Qui veut tout ce qu’il veut si fortement,
Que son vouloir broierait du diamant
Et s’en irait, au fond des nuits profondes,
Ployer les lois qui font rouler les mondes.
Poème ’’ Le forgeron’’
Emile Verhaeren