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Ecrit le 10 juin 2020
TRIBUNE de la société française de pédiatrie
il est urgent de maîtriser nos peurs et d’aller de l’avant pour le bien des enfants.
Dès le 26 avril, la Société Française de pédiatrie et les différentes Sociétés de Spécialités pédiatriques prenaient fermement position pour un retour des enfants dans leur établissement scolaire, y compris pour ceux ayant une maladie chronique. Deux semaines plus tard, alors que le déconfinement progressif était lancé, il fallu faire le constat des nombreuses difficultés de réouverture pragmatique des classes, qui prenne en compte à la fois la nécessité de maintenir les mesures barrières essentielles, et la réalité de l’enfance, faite de spontanéité, de jeux, de rires et de pleurs. Ces blocages sont alimentés par des craintes souvent non basées sur des faits, et aboutissent à des organisations non réalistes, et potentiellement fortement anxiogènes pour les enfants.
Les enfants payent aujourd’hui un lourd tribut à l’hypothèse initiale selon laquelle ils étaient le vecteur principal de la circulation du virus COVID-19, par analogie à d’autres virus. Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas le cas, et que la quasi-totalité des enfants qui ont été infectés par le COVID-19 l’ont été au contact d’adultes. Retrouver ses camarades de jeux ne doit pas être considéré comme les exposant à des risques particuliers. Il est urgent de rappeler que des collectivités d’enfants, crèches ou classes, ont continué à exister pendant le confinement, notamment pour les enfants des personnelssoignants. Aucune épidémie n’a été relevée dans ces groupes d’enfants, alors que la circulation virale était forte parmi les adultes.
Ouvrir les écoles est possible, car nous savons aujourd’hui qu’un enfant infecté par le COVID-19 développe très rarement des symptômes sévères. En France, les cas pédiatriques (0-14 ans) représentent 1% de l’ensemble des cas symptomatiques hospitalisés. A la date du 05 mai (données SI-VIC, Santé Publique France), moins de 100 enfants étaient hospitalisés pour une infection COVID-19, dont 30 en réanimation. Deux décès ont été rapportés chez des enfants de moins de 15 ans, infectés par COVID-19.
Des cas avec des complications inflammatoires tardives sont décrits, et en cours de recensement, mais concernent un nombre limité d’enfants. Ces cas graves, tous douloureux pour les familles concernées, doivent être mis en perspective des complications sévères et des décès associés aux autres agents infectieux, virus ou bactéries, chez l’enfant. En 2016, 40 enfants de 1 à 14 ans sont ainsi décédés d’une maladie infectieuse (Insee).
Ouvrir les écoles est possible si les adultes accompagnent cette rentrée de manière positive. L’exemplarité doit être sans faute, à commencer par les mesures d’hygiène et les gestes barrières. Ce sont les adultes qui doivent protéger les enfants d’une possible contamination, tout en préservant des interactions de qualité entre adultes et enfants ainsi qu’entre les enfants eux-mêmes.
Le retour en collectivité doit être organisé en mettant en avant gestes barrières et précautions d’usage, qui seront aussi très utiles à utiliser au quotidien pour prévenir la transmission des virus hivernaux comme ceux de la grippe, de la bronchiolite ou de la gastro entérite. Ces mesures barrières reposent pour les enfants essentiellement sur le lavage des mains à l’eau et au savon. Le port d’un masque dans les crèches, les écoles maternelles et primaires pour les enfants n’est ni nécessaire, ni souhaitable, ni raisonnable.
Les mesures de distanciation excessives (comme la suppression des espaces de jeux, l’interdiction aux enfants de jouer entre eux, ou le refus de consoler un enfant) sont inutiles voire préjudiciables. Dans la pratique, elles sont manifestement inapplicables et seraient susceptibles d’entraîner une anxiété particulièrement néfaste au développement des enfants et générateurs de troubles du comportement potentiellement majeurs. Ces mesures excessives font également perdre sens et engagement au métier exercé auprès des enfants par les assistantes maternelles, les professionnels des crèches et des écoles.
Ouvrir les écoles et les collectivités est aussi indispensable pour stopper tous les effets délétères du confinement sur certains enfants : décrochages scolaires, victimes de maltraitance, absence de protection vaccinale, rupture de suivi pour une maladie chronique. Le véritable risque pour l’enfant dans cette épidémie COVID-19 est sûrement de le priver d’un environnement socio-éducatif bénéfique à son développement, et d’un suivi médical de prévention indispensable à sa bonne santé. L’enjeu du retour en collectivité est d’abord d’apprendre à vivre ensemble sans peur excessive de l’autre, de s’ouvrir au monde par le jeu et les apprentissages, au contact d’autres enfants et d’adultes professionnels bienveillants et responsables.
Le retour des enfants à une vie collective est organisé de manière progressive. Une bonne collaboration entre tous les acteurs est indispensable pour son succès. Sachons montrer aux enfants que nous savons les protéger tout en leur permettant de rester des enfants !
Signatures : Pr Christophe Delacourt, président de la Société Française de pédiatrie,
Pr Christèle Gras-Le Guen, secrétaire Général de la Société Française de pédiatrie
Pr Emmanuel Gonzales, président du Conseil Scientifique de la Société Française de pédiatrie
et de nombreux co-signataires
Ecrit le 10 juin 2020
Retour d’expérience
La réouverture des écoles en France a été planifiée à partir du 11 mai 2020. Certains pays n’ont pas fermé leurs écoles, d’autres les ont déjà rouvertes, quelques-uns ont décidé d’attendre la rentrée de septembre et pour certains le débat est encore en cours. Ces différentes situations témoignent de la diversité des contextes : conditions de vie, organisation politique, système de santé, calendrier scolaire, intensité de l’épidémie Elles illustrent aussi le fait que les décisions politiques en matière de santé publique ne peuvent s’appuyer sur des données univoques simples, claires et définitives.
Ces décisions font toujours intervenir un large ensemble de paramètres et une part d’incertitude. En effet, même s’il s’agit d’un facteur qui agit aujourd’hui sur la santé de façon saillante et évidente pour chacun, l’épidémie de Covid-19 n’est que l’un des déterminants de la santé parmi de nombreux autres.
La recherche montre que la santé des individus et des populations est sous l’influence d’un large ensemble de déterminants biologiques, socioculturels, environnementaux, comportementaux, liés au système de soins et que les inégalités de santé trouvent leur source dans ces différents facteurs.
A titre d’exemple, la décision de fermer les écoles conduit à une augmentation des inégalités en matière d’éducation. Les conditions de confinement dépendent des conditions matérielles (accès à un espace calme, à des outils numériques performants, à des espaces privés pour pratiquer une activité physique) et de la relation à l’école entretenue par les familles, qui est elle aussi fortement déterminée par les inégalités socio-économiques.
Les études montrent que ce qui est fait hors de l’école (pendant les vacances en temps ordinaire, confinement les mois derniers) influence directement la réussite éducative, le statut socio-économique et donc la santé.
Si les déterminants sociaux et éducatifs ne sont pas aussi visibles, ils ont cependant un impact majeur. Comme le souligne Michael Marmot, président de la commission des déterminants de la santé de l’OMS, les inégalités tuent à grande échelle.
L’école doit être vue comme acteur clé de la santé de tous via les conditions de vie qu’elle offre aux élèves et l’éducation qu’elle dispense et non comme simple instrument de santé publique.
(Source : Didier Jourdan, revue The Conversation )