Ecrit le 12 mai 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure malheureuse d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834. Ils ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution, pour la défense du roi et de leur religion traditionnelle, mais l’époque avait changé. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroulera en plusieurs épisodes.
Le contexte historique
Après la période de la Révolution qui s’étend de 1789 à 1799, vient la période du Consulat et de l’Empire qui, à la fois, consolide les institutions nées de la période précédente, mais marque aussi une régression des idéaux révolutionnaires, notamment en matière de liberté (rétablissement de l’esclavage et contrôles policiers, pour citer deux exemples), d’égalité (retour des notables, instauration d’une noblesse d’Empire) et de démocratie (deux exemples encore : les maires ne sont plus élus mais ils sont nommés, le suffrage universel est détourné de sa fonction pour servir à plébisciter l’homme fort issu de l’armée). L’idée généreuse de libération des peuples dégénère en impérialisme.
La défaite militaire de Waterloo qui met fin aux ambitions titanesques de Napoléon entraîne le retour de la monarchie de droit divin, incarnée par la branche aînée des Bourbons. Louis XVIII accède donc au trône en 1814-1815. Il est plutôt modéré, mais il existe des « royalistes plus royalistes que le roi » qu’on appellera bientôt les ultras. Ils seront comblés à la mort de Louis XVIII, quand Charles X accède au trône en 1824. Celui-ci cherchera à rétablir les prérogatives du catholicisme comme religion d’État, instaurera la « loi du sacrilège » et fera adopter la loi sur « le milliard des émigrés ». Il s’agissait d’indemniser, avec des fonds publics, les descendants des nobles qui avaient émigré pendant la Révolution et dont les biens avaient été vendus comme biens nationaux. Les chefs chouans qui vont survivre, et que l’on va retrouver bientôt, sont mis à l’honneur pendant cette période.
De moins en moins en phase avec les évolutions de la société qui bouge sous les effets des progrès techniques et des souvenirs toujours vivaces des aspects positifs de la Révolution, ce régime qui symbolisait « l’alliance du trône et de l’autel » est mis à bas par les journées révolutionnaires de juillet 1830. Journées parisiennes, mais aussi nantaises…
Contrairement aux espoirs des vieux républicains, ces journées débouchent sur un régime bâtard, un compromis favorable à la bourgeoisie, que l’on a appelé « la monarchie de Juillet », faute de mieux, avec Louis-Philippe comme nouveau roi des Français.
Ce régime, insatisfaisant pour les Républicains, est honni par cette vieille noblesse rurale qui rêvait d’un retour aux fastes de l’Ancien Régime et d’une restauration du pouvoir des seigneurs de la terre dans les campagnes. Ils ne tardèrent pas à s’organiser avec l’intention de faire tomber ce gouvernement par des méthodes violentes. Leur idée est d’organiser de nouveaux soulèvements populaires dans les régions favorables, de ressusciter la grande armée catholique et royale, ainsi qu’une nouvelle chouannerie, trente ans après l’effacement de celle dont le souvenir est resté vif dans les campagnes de l’ouest.
Des jeunes de la région s’engageront dans ce mouvement qui dégénère très vite. Grâce aux archives judiciaires conservées aux Archives départementales, que R.Bourrigaud a consultées, on peut les suivre pas à pas.
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1re partie
Instaurer la peur dans les campagnes
Le 7 novembre 1831, sur un chemin
de Saint-Julien-de-Vouvantes
Il est cinq heures et quart de l’après-midi, heure solaire. La nuit est tombante en ces jours d’automne, peu après la Toussaint. Charles Erondelle, notaire à St-Julien-de-Vouvantes, et son jeune clerc, Pierre Lalloué, reviennent du village de Beaumont où ils avaient organisé une vente de meubles.
Ce gros village est situé à une bonne lieue du bourg, en direction de Juigné et à quelques pas au sud de la forêt du même nom. La proximité de la forêt et les troubles déjà présents dans la région depuis la révolution de Juillet 1830 ne pouvaient que les rendre prudents. Aussi le notaire, qui se déplaçait à pied, était-il armé d’un bon fusil à deux coups.
Avant le bitumage de nos petites routes de campagne, il arrivait fréquemment que des tronçons de chemin creux soient vraiment mauvais en saison humide et peu praticables par les piétons endimanchés qui s’en allaient à la messe avec des chaussures convenables. Aussi était-il fréquent de créer un sentier pour piéton – on disait une viette – dans le champ d’à côté, en général surélevé par rapport au chemin creux.
Sur le chemin du retour donc, à environ 500 mètres du village – ils disent encore « un demi-quart de lieue » car le système métrique mettra longtemps avant de s’imposer – Me Erondelle et P. Lalloué prennent un sentier qui se faufile dans un champ de « genêts très hauts » qui les empêchent de voir à plus de quelques mètres.
Les auteurs du rapport écrivent genêts, mais ce sont sans doute des ajoncs, que l’on nomme ici jaunais, dans un parler local et avec un accent qui ne s’écrivent pas. En tout cas, cette végétation spontanée de nos terres de landes est un endroit rêvé pour une embuscade !
Ils n’ont pas fait quinze pas qu’ils entendent un cri dernière eux et, en se retournant, ils se trouvent face à un homme qui les met en joue avec un fusil. Un autre homme armé se dresse derrière eux et les voilà pris en tenaille. Le notaire ne cherche pas à résister : sous une telle contrainte, il abandonne son arme aux assaillants, puis il leur cède sa montre en or. Les détrousseurs lui réclament de l’argent, mais il prétend qu’il n’en a pas. L’un d’eux lui fouille les poches et plusieurs voix qui sortent des genêts s’exclament : Comment, pas d’argent ! Pas d’argent ! Mais la fouille ne donne rien d’autre que quelques sous.
Les deux hommes armés laissent repartir nos voyageurs, non sans les menacer :
– Tu vas aller raconter cela à la gendarmerie, mais si tu parles de cette affaire nous saurons bien te retrouver, tu y passeras !
Puis, se ravisant, ils élargissent leur menace : Tu peux le dire si tu veux, nous ne craignons point les gendarmes, nous les attendrons !
Dans sa déposition le surlendemain auprès du procureur du Roi près du tribunal de Châteaubriant, le notaire donne un premier signalement des inconnus qui l’ont agressé : Je pense que les individus par lesquels j’ai été attaqué sont réfractaires ; celui qui me tint continuellement en joue a les cheveux d’un blond jaune, il paroit avoir cinq pieds, deux à trois pouces, ce qui m’a fait penser après avoir demandé le signalement des réfractaires, que c’est le nommé Huet ; l’autre est plus grand, il est brun, ses cheveux paroissent noirs, les renseignements que j’ai pris m’ont fait croire que c’était Beillaud ou Poulain.
Il regrette bien entendu de s’être fait voler son fusil et sa montre, mais ne désespère pas de les retrouver car ses objets sont personnalisés : le fusil était « à double piston », muni d’une plaque en or sur laquelle était gravées les lettres G.D. La crosse était creuse et on pouvait y stocker des éléments de munition. La montre en or était ancienne, le boîtier avait été réparé avec de l’étain.
Son employé, Pierre Lalloué, est un jeune homme de 17 ans qui habite le village de l’Auberdière à St-Julien. Il est resté totalement discret pendant cette scène, mais interrogé d’abord par les gendarmes, puis par le juge d’instruction qui le confrontera à Huet, il pense pouvoir dire qu’il n’était pas l’un de ceux qu’il a vus, ce qui contredit la déclaration de son maître.
Prochains épisodes :
Que se passe-t-il à Juigné-des-Moutiers et à la Chapelle-Glain en juin-juillet 1832 ?