Ecrit le 3 juillet 2019
Sophie Marinopoulos est psychologue, psychanalyste, spécialisée dans les questions de l’enfance et de la famille. Elle a travaillé à la maternité du CHU de Nantes et dans un centre médico psycho pédagogique, se consacrant à écouter les parents, les accompagner dans les défis de la vie, les temps de crises. Depuis 1999 elle a échangé son bureau avec une cuisine. LÃ , dans ce lieu de prévention dénommé « Les Pâtes au Beurre » elle se met à table avec les parents et les enfants, créant ainsi un concept original d’accueil collectif des familles, gratuit anonyme et sans rendez-vous, où on peut venir avec ou sans son enfant, et ce, quel que soit son âge.
Dans un rapport remis le 4 juin au ministre de la Culture, elle parle de « Malnutrition culturelle » . Dans cette société où tout s’accélère, elle pointe les dangers du manque d’attention et d’accompagnement des parents dans l’éveil des tout-petits.
La santé culturelle, dit-elle, c’est la santé de nos relations, de nos liens. Et donc la malnutrition culturelle est tout ce qui vient empêcher la relation. Aujourd’hui, à la vitesse à laquelle on vit, on nous impose une performance et une efficacité immédiates. Alors on attend d’un enfant quelque chose qui n’est pas possible pour lui : un enfant doit faire des expériences répétées et, évidemment, passer par l’échec. « Il me semble qu’on est de plus en plus pris dans une espèce de mouvement qui oublie l’enfant et ses besoins. On veut des enfants mais sans l’enfance : qu’ils ne fassent pas de bruit, qu’ils ne bougent pas trop (dans un train par exemple), qu’ils ne nous mettent pas en situation difficile en ne répondant pas immédiatement à nos demandes. On parle beaucoup de la frustration des enfants mais pas de celle des adultes ! » dit-elle.
On voit beaucoup de parents qui collent un téléphone ou une tablette entre les mains des enfants pour qu’ils ne fassent pas de bruit, pour qu’ils ne nous dérangent pas. Les enfants sont complètement hypnotisés par ces outils. Et donc ni eux ni nous, adultes, ne sommes confrontés à la relation. « On parle d’enfants instables, mais moi je questionne une société d’adultes où des enfants doivent trouver des tas de stratégies pour avoir notre attention, susciter notre parole à leur encontre. Les adultes sont constamment sur leur portable, si nous sommes bien là physiquement, nous ne sommes pas là psychiquement ».
« c’est tout cela la malnutrition culturelle : un ensemble de comportements que nous avons aujourd’hui et qui entrave la qualité du lien parent-enfant et in fine du lien social. Pour moi, il s’agit d’un nouveau défi sanitaire ».
Le petit humain a des besoins incontournables. Pour exister, il lui faut un autre que lui-même, du temps, de l’empathie, de l’affection, du corps, des regards, de l’éveil sensoriel, de la symbolique, du langage, des pensées, des projections... Loin d’être fragile, il présente une vulnérabilité native que nos progrès ne doivent jamais perdre de vue afin de concilier modernité et émancipation.
Or Sophie Marinopoulos constate : « les enfants de notre culture échappent à la famine, mais nos enfants bien nourris, présentent des signes de malnutrition culturelle : appauvrissement du langage, faible sécurité interne, perte d’estime de soi, baisse de la résistance à la frustration, excitabilité relationnelle, manque d’expériences sécurisantes... Un mal-être auquel nos conditions de vie ne sont pas étrangères. Un malaise que les parents partagent en nous confiant leurs difficultés dans le lien précoce à leur enfant. Une réalité qui se traduit par des parents qui viennent de plus en plus nombreux dans nos lieux d’accueil pour être soutenus ».

Pauvreté et violence
Les enfants ont un rapport au langage problématique, avec une grande perte de la qualité de l’expression. Les parents entravent, à leur insu, cet accès au langage. « Et on sait bien que quand on n’a pas les mots, on tape. c’est comme ça qu’arrive la violence. Les enfants sont en difficulté dans la gestion de leurs émotions et sont relativement impatients, toujours dans la quête de la relation ».
Et c’est valable aussi pour nous, les adultes. Nous sommes en moins bonne santé : plus anxieux, plus vite dépressifs, plus vite découragés, nous savons moins nous exprimer, moins nous défendre par les mots.
[Ndlr : et on s’inquiète de lire, dans tel magazine intercommunal, qu’il faut limiter les textes et privilégier les photos !].
Pour remédier à cette situation, il faut préconiser une politique culturelle pour les tout-petits et valoriser l’éveil culturel, c’est-Ã -dire tout ce qui peut nourrir l’enfant à partir des approches artistiques. Il doit s’agir d’une politique et d’une stratégie nationales d’éveil culturel et artistique, défendues dans tous les lieux qui accueillent des tout-petits : les crèches, les PMI (protection maternelle et infantile), les musées Nous devons réussir à allier les professionnels de l’enfance aux artistes, repenser leurs formations de manière à ce qu’ils puissent conjointement approcher nos tout-petits et participer à leur éveil.
c’est cette politique d’attention qui protégera le lien parents-enfants. Faire d’un enfant le sujet de notre attention lui permet de naître à l’altérité.
[Ndlr : il existe à Nozay un lieu d’accueil Parents-enfants qui s’inscrit dans cette politique. Un tel lieu est en projet pour la Com’Com’ Châteaubriant-Derval.
Il existe aussi dans les bibliothèques, des opérations « Tout-petit je lis, et je chante ». Elles sont ouvertes aux enfants gardés par des assistantes maternelles, mais pas destinées aux familles.
Il existe aussi, par exemple au Relais-Accueil-Proximité, des après-midi d’activités communes parents-enfants.
Tout cela est très intéressant, et Sophie Marinopoulos préconise d’encourager les actions itinérantes [indispensables en milieu rural] et de faciliter leur diffusion pour rappeler que le droit culturel, c’est l’accès à la culture pour tous.]
La mission « Culture petite enfance et parentalité » préconise de développer les initiatives d’éveil culturel et artistique pour les très jeunes enfants dans le lien à leurs parents sur tout le territoire en donnant aux associations culturelles et aux compagnies, artistes, théâtres, les moyens de répondre aux besoins culturels précoces des tout-petits et de leurs parents.
La société doit soutenir
Les parents d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, ils ne vivent pas dans le même environnement sociétal. Nos parents ne couraient pas comme nous courons. Notre modernité a des avantages et des inconvénients, soyons courageux.
« J’en appelle à une société d’adultes courageux qui regardent les points de fragilisation dans la croissance de nos enfants. Ayons le courage d’agir pour qu’ils ne soient pas entravés dans leur croissance » dit-elle en livrant cette réflexion :
L’expérience reste au cœur de la vie d’un enfant et demande, dans un premier temps, une présence. Dans le « trop », [trop de jouets, trop d’activités] l’enfant ne peut pas vivre une expérience sereine tant il est excité par la profusion d’objets et, simultanément, par le sentiment d’être livré à cette profusion. « Nous mesurons alors à quel point des expressions antinomiques peuvent s’associer. Ils ont tout et rien en même temps. Ils font et ne réalisent rien en même temps. Ils sont entourés et seuls en permanence ».
lire le rapport et les préconisations :
voir le site marinopoulos
et le livre : les trésors de l’ennui " :
voir le site ennui