Ecrit le 6 novembre 2019
La semaine dernière nous fêtions la Toussaint et le Jour des morts, c’est l’occasion de nous intéresser aux rites funéraires à travers les âges.
Les premières sépultures sont datées de 100 000 ans et se trouvent dans l’actuel Israël. Dès l’époque préhistorique, les preuves de rites funéraires sont multiples : donner aux défunts une sépulture est une étape importante dans l’histoire de l’humanité : à l’époque du néolithique, des cavités étaient creusées de main d’homme dans la roche pour servir de sépulcre ; s’agissait-il de préserver les corps de l’attaque de charognards ou de rendre un dernier hommage aux disparus ?
En 1934, des archéologues ont découvert en France le squelette d’une jeune femme d’environ 20 ans dont la sépulture remontait à 15 850 ans avant J.-C. Le corps était en position repliée, une main posée sur la tête, dans une attitude évoquant celle du sommeil ; elle portait autour du cou un collier formé de 70 canines de cerf trouées et de petits coquillages ont été retrouvés au niveau du bassin, peut-être un reste de vêtement ? L’ensemble de la sépulture était recouvert d’ocre rouge. Le corps était déposé dans une fosse dont les parois étaient formées de dalles, le tout étant recouvert de deux grosses pierres.
Au Kurdistan irakien, l’homme de Néandertal (qui a vécu entre 250 000 et 28 000 ans avant notre ère) enterrait ses morts sur un lit de plantes fleuries : achillées, centaurées jaunes, muscaris , séneçon, éphédras dont les vertus hallucinogènes sont connues ; selon les spécialistes, le choix de ces plantes ainsi que l’organisation de leur cueillette impliquaient l’existence d’un langage.
Plus près de nous, en Egypte ancienne, dès le début du 3e millénaire avant J.-C., les Egyptiens se sont attachés à préserver le corps de leurs défunts, en premier lieu, ceux de la famille royale, en les momi-fiant : le corps était enveloppé dans des linges gorgés de résine ou de plâtre, les traits du visage étaient peints sur la toile et les viscères, placés dans la tombe à côté de la momie dans des vases canopes. Cette technique visait à transfigurer la dépouille mortelle en un corps « glorieux ». Puis une opération magico-funéraire rendait les cinq sens au défunt. On plaçait dans la tombe de la nourriture, du maquillage pour les femmes, des objets qui avaient été chers au défunt ainsi que le Livre des morts, papyrus sur lesquels étaient écrites des formules magiques. On procédait enfin à la pesée du cœur effectuée par Anubis, le dieu à la tête de chacal : sur un plateau de la balance était placé le cœur du défunt, sur l’autre, la « plume de justice » ; il fallait que la balance s’équilibre pour que le défunt puisse accéder à la vie éternelle.
Dans la Grèce antique, une sépulture était indispensable : il ne fallait pas laisser les morts sans honneurs funèbres pour éviter que les âmes errantes ne soient transformées en fantômes qui tourmenteraient les vivants. Une fois lavé, parfumé et oint d’huile, le cadavre était habillé de blanc et placé dans un linceul, puis exposé sur un lit d’apparat pendant une journée dans le vestibule de la maison au milieu des cris et des lamen-tations rituels des proches qui se coupaient les cheveux en signe de deuil. Transporté dans un cercueil en bois vers la nécropole au son des hautbois et des sanglots des pleureuses, le corps était inhumé ; parfois il était incinéré sur un bûcher et les cendres étaient recueillies dans un vase d’argile ou une urne en métal puis ensevelies. On mettait dans la bouche du défunt une pièce pour le paiement à Charon, le passeur qui ne faisait traverser le Styx (le fleuve qui séparait les Enfers du monde terrestre) qu’aux âmes des morts qui avaient reçu une sépulture.
DEVINETTE : Comment s’appelle le chien qui gardait l’entrée des Enfers dans la mythologie grecque ?
REPONSE à la DEVINETTE du dernier numéro : dans le vocabulaire de la marine, un navire qui lutte contre le gros temps bourlingue, quand il avance péniblement et se fatigue à la manœuvre.
Elisabeth Catala
Ecrit le 13 novembre 2019
Dans la Rome antique, l’inhumation des morts a précédé leur incinération ; selon Pline (1) cette dernière ne s’explique que par l’insécurité des tombeaux durant les guerres.
Toute mort est d’abord ressentie par les Romains comme une « souillure » dont la contagion s’étend à toute la famille du défunt qui devra s’en purifier : les rites funèbres ont ainsi la double fonction de procurer un lieu de repos au mort et de protéger les vivants du danger de « contagion. » Trois appels solennels, lugubres, qui n’attendent aucune réponse, attestent que le défunt est bien mort. Après quoi, on lave et on habille le corps, on l’expose sur un lit de parade pendant quelques jours après avoir, comme en Grèce, déposé entre les lèvres une pièce de monnaie destinée à payer Charon, le passeur qui le fera traverser le Styx. La maison mortuaire est signalée par des rameaux de cyprès ou de pin teints en rouge.
Passé le temps des lamentations et celui du deuil (2) privé, les honneurs funéraires étaient rendus publiquement : la famille étalait avec ostentation la gloire acquise par le mort et par ses ancêtres. Sous l’Empire, les obsèques avaient lieu la nuit ; elles avaient lieu le jour sous la République, dans les deux cas à la lueur des torches. Un cortège de musiciens, de pleureuses et de porteurs de masques des ancestres suivait le corps du défunt jusqu’à sa dernière demeure.
Ensuite, il fallait purifier la famille de la souillure de la mort : on balayait la maison après le départ du cortège funèbre et on purifiait par le feu et l’eau tous ceux qui avaient accompagné le mort à la nécropole. Les jours suivants étaient chômés et permettaient d’achever les rites funéraires pour que la famille se libére totalement de la souillure : on offrait un bélier aux Lares (les dieux du foyer) et une truie à Cérès, déesse de la moisson et de la fertilité. Un festin familial clôturait des rites. La famille redevenait pure. Un culte familial était régulièrement rendu aux morts par le père de famille ; tous ces rites avaient essentiellement pour but de rendre les morts inoffensifs à leurs parents vivants.
(1) Pline l’Ancien a vécu au 1er siècle ; il est l’auteur d’une sorte d’encyclopédie intitulée Histoire naturelle (37 volumes).
(2) le mot deuil vient du latin dolus (douleur).
En Europe, dans la seconde moitié du Moyen Âge , l’Église transmet une vision effayante de la mort : les fresques représentant des danses macabres se multiplient dans les églises, le jugement dernier effraie les fidèles et les incite à avoir une vie exemplaire sur terre s’ils veulent pouvoir accéder à la vie éternelle.
Les nantis bénéficiaient d’un enterrement à l’intérieur de l’église, chacun selon sa catégorie : ainsi, le fondateur de l’église était enterré devant l’autel au niveau de l’abside, certains notables se faisaient enterrer debout près de la place qu’ils occupaient de leur vivant à la messe et les individus de condition modeste étaient enterrés à la périphérie du cimetière ; les personnes excommuniées n’avaient pas le droit d’être inhumées selon les rites chrétiens.
Dans notre société industrialisée, selon Philippe Ariès, « un type absolument nouveau de mourir est apparu », c’est la mort « inversée » : autrefois, la mort ne paraissait pas comme quelque chose d’extraordinaire, aujourd’hui , elle est une considérée comme une rupture, une transgression, qui arrache l’homme à sa vie quotidienne pour le jeter dans un monde inconnu, violent et cruel. Aries met cette relégation de la mort en lien avec la médicalisation de la société : la plupart des gens meurent aujourd’hui à l’hôpital. Il indique aussi que le cimetière n’est maintenant plus bâti intra muros mais en dehors de la ville comme s’il fallait éloigner les morts des vivants.
DEVINETTE : où Mozart est-il enterré ?
REPONSE à la DEVINETTE du dernier numéro de La Mée : c’est Cerbère, le redoutable monstre à trois têtes, qui était le gardien des Enfers.
Elisabeth Catala
Ecrit le 20 novembre 2019
Dire la mort en poésie
Poètes, écrivains et chanteurs de tous temps ont su dire la mort en poésie.
Au Moyen Âge, l’auteur anonyme de La Chanson de Roland décrit ainsi la mort de Roland à Roncevaux :
Roland sent que la mort est proche,
Pour ses pairs il prie Dieu les appelle
Et pour lui-même implore l’ange Gabriel.
Prenant son olifan dans une main
Et Durandal son épée,
De plus d’une portée d’arbalète , il s’avance vers l’Espagne.
Au sommet d’un tertre sous deux beaux arbres, il y a quatre blocs de marbre luisant ; c’est là qu’il tombe à la renverse, sur l’herbe verte ; il s’est évanoui, la mort est proche.
Au XVIIe siècle, La Fontaine décrit avec humour la réaction du « pauvre bûcheron tout couvert de ramée » quand la Mort qu’il implore de venir se présente à lui :
Il appelle la Mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire.
C’est, dit-il, afin de m’aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir,
mais ne bougeons d’où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.
Le verger du roi Louis, une ballade de Théodore de Banville (1823-1891) qui a été chantée par Brassens au XXe siècle, fait écho à l’esprit du Moyen Âge ; en voici une partie :
Tandis qu’aux cieux, d’azur tendus
Où semble luire un météore,
La rosée en l’air s’évapore,
Un essaim d’oiseaux réjouis
Par dessus leur tête picore.
C’est le verger du roi Louis.
Prince, il est un bois que décore
Un tas de pendus enfouis
Dans le doux feuillage sonore.
C’est le verger du roi Louis.
Victor Hugo dans un poème aussi doux que poignant intitulé Demain, dès l’aube (1856) donne l’illusion à son lecteur qu’il a rendez-vous avec une femme aimée :
Demain, dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps
La troisième strophe révèle qu’il va en réalité sur la tombe de sa fille Léopoldine, morte noyée dans la fleur de l’âge :
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur
Et quand j’arriverai , je mettrai sur ta tombe,
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur
Brassens donne une couleur humo-ristique aux funérailles dans un de ses textes intitulé Les funérailles d’antan :
Mais où sont les funérailles d’antan ?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards
De nos grand-pères
Qui suivaient la route en cahotant …
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps,
Les belles pom, pom, pom, pompes funèbres
On n’les r’verra plus
Et c’est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans.
Au chapitre 26 du Petit Prince de Saint- Exupéry (1943), on assiste au dernier dialogue de l’auteur avec l’enfant qui a choisi de mourir, mordu par un serpent.
Quand tu regarderas le ciel la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles, tu auras, toi des étoiles qui savent rire.….
Il n’y eut rien qu’un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas, il tomba doucement comme tombe un arbre ; ça ne fit même pas de bruit à cause du sable.
Plus près de nous, en 1952, René-Guy Cadou écrit dans Aller simple :
Ce sera comme un arrêt brutal du train
Au beau milieu de la campagne un jour d’été...
Et puis le train repartira
Rien ne subsistera du voyageur
Dans le filet troué des ultimes voyages
Pas la moindre allusion
Pas le moindre bagage
Le vent de la déroute aura tout emporté.
DEVINETTE : quelle est l’origine du mot cimetière ?
REPONSE à la DEVINETTE du dernier numéro : Mozart (1756-1791) a été enterré à Vienne dans une fosse com-mune du cimetière de Saint-Marx, à l’âge de 35 ans. Elisabeth Catala