Ecrit le 16 août 2021
En latin, le mot jus-juris signifie le droit et la justice. Sa famille comporte entre autres les mots juste, justifier, justiciable, juge, juridique, juré, jury, juron, injure, injurier, jurer (au sens premier : faire serment, prononcer une formule rituelle, puis, en mauvaise part, blasphémer), et ses composés conjurer, abjurer.
La même forme jus-juris signifie aussi jus, sauce, bouillon - en particulier bouillon rituel dans lequel a cuit un animal sacrifié.
Etymologiquement, les deux formes viennent du même mot sanskrit yûsha (racine : yu qui, du sens de lier, réunir, est passée au sens de mêler, mélanger). Cette racine est présente dans des termes latins comme jugum (le joug) et jungere (joindre, unir), dans lesquels domine la notion de sacré.
Le droit romain est au point de départ de la première justice institutionnelle de l’histoire : le droit a fait d’abord partie du domaine religieux et s’est apparenté à la notion de permission (on l’emploie en ce sens dans l’expression courante avoir le droit de). Notons que le verbe jurare (jurer) concerne d’abord une parole sacrée. N’oublions pas que les contre-venants à cette parole sacrée étaient voués à la malédiction.
La justice latine s’est rapidement séparée de la religion, dans laquelle les rituels étaient toujours accompagnés d’une libation (1). Cependant, au départ, la conclusion d’un traité était toujours « signée » par le partage d’un « bouillon » particulier : celui qui avait été préparé à partir de la viande de l’animal immolé pour l’occasion selon les rites en vigueur. Ainsi, le fait de s’engager, de promettre, était lié à l’idée de répandre le liquide d’une libation, ce qui manifeste clairement le lien qui existait alors entre la parole et le liquide (parler en grec se dit rein, c’est-à-dire couler au sens premier du terme et promulguer vient d’un verbe latin qui signifie traire, tirer le lait de la mamelle d’un animal !). Quant au mot latin spondeus (libation), il vient du verbe grec speidein (verser). Spondeus se rattache au verbe spondere qui signifie promettre et qui a donné sponsus, l’époux, celui qui est lié par une promesse.
Le mot droit est conservé dans la terminologie juridique moderne : droits de l’homme, droit des femmes, droit des enfants, droit du sol, droits de succession, droits à la retraite ; il est synonyme d’avantages consentis à chacun en vertu de la nature ou d’un principe de caractère religieux, moral ou légal : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit fondamental.
Associé aux notions d’ équité, de justice, il s’oppose à l’injustice et à l’usage de la force. La notion de bien qui va de pair avec le droit est souvent renforcée par l’adjectif bon (être dans son bon droit).
Enfin, le droit est en corrélation avec la notion de devoir dans la mesure où le règne du premier est conditionné par la conscience qu’on a du second.
La locution de droit divin s’est appliquée depuis Clovis au pouvoir absolu que rois et empereurs détenaient de Dieu lui-même. En France, la monarchie de droit divin a disparu en 1789. C’est aussi à la fin du XVIIIe siècle que le droit d’aînesse a été aboli en France. Mais ce n’est qu’en 1970 que la notion de puissance paternelle dont l’origine se trouvait dans les lois romaines (le pater familias, le père de famille, avait à Rome droit de vie et de mort sur sa femme, ses enfants et ses esclaves) a été supprimée.
(1) La libation était dans l’Antiquité l’action de répandre du liquide (vin, lait ou huile) en l’honneur d’une divinité. En grec, libation se disait spondè (mélodie solennelle qui accompagne le déroulement d’un rite).
DEVINETTE : d’où vient l’expression jus de chaussette qui désigne un café sans goût ?
REPONSE à la DEVINETTE du dernier numéro : Le pot au noir est une zone océanique située à proximité de l’équateur où convergent les alizés venus de tropiques ; elle est redoutée des marins en raison des conditions météorologiques désastreuses qui y règnent.
Elisabeth Catala