Ecrit le 23 juin 23
Le mot fenêtre vient du latin fenestra dont le radical est issu du verbe grec phanein, éclairer (qui a aussi donné phare). Chacun sait qu’une fenêtre est une ouverture munie d’une fermeture vitrée pratiquée dans un mur, une paroi, pour faire pénétrer l’air et la lumière à l’intérieur d’un bâtiment. Il en existe de multiples sortes : à double battant, à tabatière, à la française, à l’anglaise, à l’italienne, à guillotine, par exemple.
Le mot entre dans de nombreuses expressions courantes comme jeter son argent par la fenêtre, mettre le nez à la fenêtre, jeter quelqu’un ou quelque chose par la fenêtre, et dans le proverbe : Chassez-le par la porte, il rentrera par la fenêtre. Regarder par la fenêtre est aussi une invitation à la rêverie : « Emma était accoudée à la fenêtre : la fenêtre en province remplace les théâtres et la promenade »,écrit Flaubert dans Madame Bovary. Baudelaire a consacré à cet objet banal un de ses célèbres Petits poèmes en prose intitulé Les fenêtres (1869), dans lequel il propose une réflexion sur le rôle du poète, créateur de légendes.
En informatique, on appelle fenêtre une zone rectangulaire de l’écran affectée à l’affichage de tout ou partie d’un élément.
Dans le domaine de l’aéronautique, une fenêtre est la durée pendant laquelle le lancement d’un engin spatial est possible.
Dès la Renaissance et jusqu’à nos jours, le thème de la fenêtre a fasciné de nombreux peintres tels Dürer, Rembrandt, Leonard de Vinci et, plus près de nous, Monet, Dali, Picasso, Braque, léger, Matisse, Vuillard, Bonnard, Chagall, Hopper pour ne citer qu’eux. Le thème du personnage à la fenêtre, souvent représenté de dos, s’est largement développé à l’époque romantique puis à l’époque moderne. Le tableau en lui-même est d’abord une « fenêtre » ouverte sur le monde, il permet de créer un lien entre le peintre et la nature. Il propose en effet une dialectique entre le dedans et le dehors, l’intime et le monde extérieur.
Dans presque toutes ses toiles, Vermeer place une fenêtre, la plupart du temps sur la gauche : dans La laitière, La liseuse et La leçon de musique, elle est la source lumineuse qui éclaire la pièce ; dans l’astronome la lumière inonde le globe, symbolisant ainsi la connaissance qui éclaire le scientifique.
Plusieurs toiles du peintre surréaliste René Magritte (1898-1967) comportent une fenêtre, en particulier trois qui portent le titre déroutant de La condition humaine. La condition humaine II (1935) représente de façon réaliste un tableau placé devant une fenêtre, sur lequel est peinte une partie du paysage que l’on voit par la fenêtre ; il faut un petit moment au spectateur pour comprendre que devant la fenêtre se trouve un tableau : c’est la présence d’un chevalet qui indique qu’une portion du paysage extérieur est cachée par la toile. Le titre du tableau renvoie ainsi au fait que la vue est parmi nos cinq sens celui qui contribue le plus à la définition de l’une des essences de notre condition humaine qu’est le pouvoir de l’imagination.
DEVINETTE : quel écrivain français est l’auteur d’un roman qui porte le même
titre que ce tableau ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro de LA MEE : une corbière est un endroit peuplé de corbeaux.
Elisabeth Catala
Ecrit le 30 juin 2021
Fenêtre (2)
Deux artistes de la région castelbriantaise se sont intéressés au thème de la fenêtre : JP Pineau et D.Chauvin.
Jean-Pierre Pineau réside à Soudan, non loin de Châteaubriant. Il a été élève à l’école des Beaux-arts de Nantes. Il réalise en particulier des peintures à l’huile et au couteau dans lesquelles de grands volumes flottant dans l’espace évoquent des paysages citadins flous, à la limite de l’abstrait, qui dévoilent une recherche d’équilibre et d’harmonisation des couleurs allant de l’ocre des terres arides au jaune des sables du désert.
En 2015, il a également réalisé une série de toiles sur le thème de la fenêtre qui ont été exposées au théâtre de Verre de Châteaubriant lors d’un spectacle créé autour du recueil Fenêtres de J.F. Piquet, mis en scène par Anne Brodard.
Quant à Dominique Chauvin, artiste qui réside à Saint-Vincent-des-Landes, il s’est intéressé au thème des fenêtres d’une façon très originale. En 2016, une exposition intitulée Mangrove urbaine lui a été consacrée à l’Office du Tourisme de Châteaubriant. Faute d’avoir trouvé des hublots d’avion qui le fascinent, il a récupéré des fenêtres à la déchetterie pour exprimer son monde intérieur.
En 2018, à l’occasion d’une exposition au Hang art à Saffré il écrivit : " Cette fois-ci, il s’agit d’une installation in situ dans un étang qui m’appartient : des fenêtres plongées dans l’eau à la merci de toutes les intempéries.
Les fenêtres sont peintes en rouge, couleur complémentaire du vert qui domine dans la nature. Au bout d’un an, j’ouvrirai les vannes de l’étang, on découvrira alors les dégradés que l’eau, la vase, auront imprimés sur le bois, sur les carreaux. J’imagine qu’on aura une vision de fin du monde. Il ne restera alors que les nombreuses photos prises au cours de l’année qui seront l’occasion d’une nouvelle exposition ".
L’ « installation » avait pour titre Mangrove Urbaine 2. « Les fenêtres sont disposées dans l’étang pour faire passer des mes-sages, expliquait l’artiste. Elles représentent l’urbanisation galopante de notre société. Mais cette urbanisation n’en reste pas moins à la merci de la nature, du réchauffement climatique, de la montée des eaux et des glissements de terrain ».
En 2019, Dominique Chauvin a exposé à l’atelier Legault, à Pouancé, une série de ses fenêtres rouges à carreaux qui, telles un groupe d’échassiers, reposent sur un pied, ainsi que des photos de ces fenêtres et de leurs multiples reflets, toutes présentées à l’envers pour faire fonctionner l’imaginaire du spectateur.
DEVINETTE : En quoi consiste une installation artistique ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro de LA MEE : c’est André Malraux qui a écrit La condition humaine en 1933. Ce roman a pour thème la révolution com-muniste et la quête du pouvoir politique en Chine au début du XXe siècle.
Elisabeth Catala
Ecrit le 7 juillet 2021
La fenêtre dans l’espace littéraire
L’image de la fenêtre est au fondement de la pensée et de la création littéraire en Occident : elle ouvre sur le monde et délimite esthétiquement le lieu de la figuration ; elle est un « seuil » entre le fini et l’infini, entre le dedans et le dehors, entre enfermement et liberté.
Le motif de la dame à la fenêtre chez pétrarque, pour qui « le regard est la fenêtre de l’âme » - présent également dans toute la littérature courtoise du Moyen Âge et dans celle des siècles suivants - illustre les rapports entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’espace privé et l’espace public, entre l’univers féminin et l’univers masculin. En témoignent tout particulièrement les deux célèbres scènes du balcon dans Roméo et Juliette de Shakespeare (1597) et dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1897) qui sont le lieu de la rencontre et de la confidence amoureuse.
Le thème de la dame à la fenêtre est repris par gérard de Nerval dans le dernier quatrain de Fantaisie
(Odelettes,1834) :
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs
en ses habits anciens
Que dans une autre existence peut-être
J’ai déjà vue et dont je me souviens !
Le thème du poète pauvre habitant une mansarde éclairée par une simple lucarne est aussi très présent dans la littérature romantique, chez Victor Hugo et Baudelaire en particulier.
Tout concourt au XIX° siècle à assimiler la vitre à la page et la fenêtre à l’espace de l’écriture. Rimbaud écrit : « J’ai tendu des guirlandes de fenêtre à fenêtre et je danse ». Et pour Victor Hugo, « la fenêtre figure l’Å“il du poète ».
La fenêtre ouverte stimule l’imagination, favorise la création poétique, invite à franchir la limite du cadre pour accéder à l’autre côté du réel en le métamorphosant.
Fermée, elle marque une séparation entre deux mondes antithétiques, organisés autour des pôles silence/bruit, solitude /foule, intériorité/extériorité.
Chez Mallarmé, la croisée enferme le sujet dans un ici-bas qui le prive de tout accès à l’idéal.
c’est une fenêtre éclairée dans la nuit qui attire l’attention de Swann désireux de confondre son amie qu’il soupçonne de le tromper :
« Ayant l’habitude, quand il venait chez Odette très tard, de reconnaître sa fenêtre à ce que c’était la seule éclairée entre les fenêtres toutes pareilles, il s’était trompé et avait frappé à la fenêtre suivante qui appartenait à la maison voisine. »
Proust, Du côté de chez Swann (1913).
Baudelaire, Mallarmé et Apollinaire ont écrit des poèmes intitulés Fenêtres. En 1913, celui d’Apollinaire a ouvert le catalogue de l’exposition Robert Delaunay à Berlin ; il était en accord avec les tableaux du peintre, en voici les tout derniers vers :
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
La fenêtre s’ouvre comme une orange
Le beau fruit de la lumière.
Le thème de la fenêtre est enfin très présent dans les chansons. Ainsi, Jacques Brel a écrit Les fenêtres :
Les fenêtres murmurent
Quand tombent en chevelure
Les pluies de la froidure
Qui mouillent les adieux
Les fenêtres chantonnent
Quand le vent se lève à l’automne
Le vent qui abandonne
Les rues aux amoureux
Les fenêtres se taisent
Quand l’hiver les apaise
Et que la neige épaisse
Vient leur fermer les yeux (2e couplet)
DEVINETTE : qu’est-ce qu’une jalousie en architecture ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro : une installation artistique est une œuvre d’art en trois dimensions souvent créée pour un lieu spécifique et conçue pour modifier la perception de l’espace. Ce terme est apparu dans les années 1970 pour désigner des œuvres créées pour l’intérieur ; les installations créées pour l’extérieur sont plus souvent désignées par le terme land art. Les installations peuvent être mobiles, fixes ou temporaires.
Elisabeth Catala
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