Ecrit le 17 janvier 2018
SEL
La famille du mot sel a des descendants dont on a du mal à croire qu’ils en font partie , tels salaire, salpêtre, hareng, saupoudrer, et halogène ...
Le mot sel est issu du latin sal-salis, qui vient du grec als-alos ; il est composé de chlore et de sodium (NaCl pour les chimistes), sert à assaisonner les aliments et à obtenir de nombreux produits chimiques. On le trouve en abondance dans la mer (sel marin) et dans la terre (sel gemme).
Le sel a été exploité dès l’époque néolithique et commercialisé dans le monde antique comme en témoigne par exemple l’historien grec Hérodote. Il est très vite devenu un enjeu économique donc politique dans l’Empire romain : une taxe sur le sel a été instituée pour financer des guerres en particulier.
Et de même qu’on fournissait aux soldats français en guise de solde (1) une ration de tabac (du Caporal), de même une partie de la solde des centurions romains leur était attribuée sous forme d’une allocation de sel nommée salarium (c’est l’origine peu connue du mot salaire).
Acheminée par la route du sel, ce condiment a par la suite servi de monnaie d’échange en Asie et en Afrique : Marco Polo rapporte qu’ en Mongolie le sel avait une place de choix dans la fabrication de certaines pièces de monnaie qui étaient des galettes de sel translucides et ornées.
Curieusement, le mot hareng qui vient du bas-latin alecum formé sur le mot grec als-alos (sel) fait aussi partie de la famille ; il est par ailleurs plus salé encore quand il est saur, c’est- à -dire fumé après avoir été mis dans la saumure (salmuria en latin).
Le salpêtre est une substance blanchâtre qui se développe sur de vieux murs humides : le mot, composé de sal (sel) et de petrae (de pierre) signifie littéralement
« sel de pierre » ; c’est pour les chimistes du nitrate de potassium qui peut servir de poudre à canon.
Saupoudrer signifie au sens étymologique « couvrir d’une légère couche de sel » ; il faut donc se garder de dire, quand on dicte une recette de cuisine : « saupoudrez de sel » car c’est un pléonasme. Mais aujourd’hui l’usage accepte la formule « saupoudrer » de farine, de chapelure ou de sucre. Au sens figuré, il arrive que les pouvoirs publics « saupoudrent les crédits » (ils attribuent des crédits minimes à de nombreux bénéficiaires au lieu d’affecter le budget à quelques postes prioritaires).
Enfin, le mot halogène (2) qui est composé des mots grecs als et gennan (engendrer du sel) appartient lui aussi à la famille du mot sel : les ampoules halogènes contiennent de l’iode et du brome qui sont des gaz « halogénés » à basse pression.
(1) La solde au sens de « salaire du militaire » vient du mot latin solidus qui signifie sou (au départ pièce d’or puis valeur monétaire qui varie avec le temps).
(2) le h de halogène est dû à un « accent » appelé « esprit rude » placé en grec au-dessus du a.
DEVINETTE
A Paris dans le quartier du Marais se trouve un hôtel particulier appelé l’Hôtel Salé, quelle en est la raison ?
REPONSE A LA DEVINETTE du dernier numéro de La Mée :
VRAI : les mots légion, Elégance et Lecture font partie de la famille de légende car ils sont tous les trois issus aussi du verbe latin legere au sens de rassembler pour le premier, choisir pour le second et lire pour le dernier.
Elisabeth Catala Blondel
SEL (2)
Ecrit le 24 janvier 2018
De tout temps, les Etats et les cités ont imposé les marchandises entrant ou transitant dans leur territoire et tout particulièrement le sel. Au temps de la Hanse (1), le commerce du sel a donné lieu à des détournements de rivières, à des destructions de ponts, tant l’approvisionnement en sel revêtait un aspect stratégique.
En France, au milieu du XIVe siècle, le commerce du sel devint un monopole royal généralisé dans tout le royaume, en particulier pour financer la Guerre de Cent ans : ce monopole permettait de percevoir une taxe, la gabelle (2) . Les « greniers à sel » ont alors été installés sur tout le territoire. Il y en avait un, par exemple, à Pouancé.
Les Plantagenêts ont moins taxé le sel et mieux organisé son commerce que les rois de France, si bien que l’aquitaine et le Poitou ont même été exonérés de la gabelle, comme le sera le duché de Bretagne au moment de sa réunion à la Couronne de France.
Si on salait peu le beurre dans les pays de gabelle pour ne pas être trop imposé, on le salait normalement pour en assurer la conservation dans les régions qui en étaient exonérées, tels la Bretagne, le Poitou et l’aunis.
Peu à peu la gabelle a changé de mains : elle a échappé au roi pour devenir un moyen d’enrichissement des fermiers généraux : le mécanisme des fermages généralisés a été mis en place, de même que des barrières entre les différentes provinces gardées par les gabelous, détestés par le peuple. La fraude s’est installée, enrichissant les faux-sauniers : le prix du sel était par endroits multiplié par 20 par les contrebandiers dont un est resté célèbre : Mandrin.
Avec le temps, en effet, les modalités de la perception de la gabelle ont varié d’une région à l’autre, ce qui a entraîné une contrebande effrénée : la gabelle unanimement détestée, a été le point de départ d’ une série de révoltes réprimées de façon impitoyable. Après la Jacquerie de 1548, Henri II autorisa l’achat définitif de l’exemption de gabelle. Plus tard, en 1789, la suppression de la gabelle figurera en bonne place parmi les revendications majeures des révolutionnaires : la gabelle sera abrogée dès novembre 1789 par la Constituante.
En Russie, Alexis 1er essaya d’instaurer une taxe similaire mais ce projet entraîna aussitôt une révolte populaire qui fit vaciller l’Empire russe. Il faut savoir que le poisson salé était une des rares sources de protéines animales accessibles aux gens du peuple. En Inde, où l’Empire britannique avait mis en place une taxe similaire à la gabelle française, la marche du sel initiée par Gandhi en 1930 pour briser ce monopole fut un des premiers succès des Indépendantistes. Enfin au Japon, ce n’est qu’en 1996 que le sel a cessé d’être taxé !
Notons qu’en France, ce n’est qu’en 1945 que le mot gabelle a disparu des textes réglementaires.
(1) La Hanse, ou Ligue hanséatique était l’association de quelques villes d’Europe du Nord qui contrôlaient le commerce maritime autour de la Baltique et de la Mer du Nord au Moyen Age.
(2) Le mot gabelle vient de l’arabe qabala qui signifie taxe. Ce sont les rois normands de Sicile qui les premiers ont repris à leur compte le système islamique des taxes sur les ventes.
DEVINETTE : qu’est-ce qu’une plante halophile ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro de LA MEE : l’Hôtel Salé situé à Paris dans le quartier du Marais est ainsi nommé parce que son propriétaire, le richissime Aubert de Fontenay, avait fait fortune dans la « ferme des gabelles ». Il abrite maintenant le Musée Picasso .
Elisabeth Catala Blondel
Ecrit le 31 janvier 2018
SEL (3)
De nombreuses expressions de la langue française, qui ne manquent pas de sel, contiennent ce mot ou ses dérivés, en particulier dans le domaine culinaire : consommer des radis ou des tomates à la croque au sel signifie qu’on déguste ces légumes crus accompagnés d’une pointe de sel et d’un peu de beurre- salé ou non-. La cuisine moderne aime l’alliance sucré/salé et les gourmets se régalent de caramels au beurre salé et de chocolat noir à la pointe de fleur de sel.
On dit d’un plat trop salé qu’il a été préparé par une personne amoureuse, parce que l’amour la distrait de son travail et qu’elle oublie qu’elle a déjà salé le plat une fois, voire deux, si ce n’est trois !
On dit aussi que le Diable ne sale pas ses plats, c’est pour cela que le sel exorcise le mal : les exorcistes l’utilisent pour chasser les démons, « désenvoûter »les lieux où vivent les personnes qui font appel à eux. Pour conjurer le sort, on conseillait aussi de jeter du sel par-dessus l’épaule gauche. Dans le même but, en Provence, on mettait du sel dans la poche du costume du marié et dans les chaussures de la mariée !
Etrangement, on attribue au sel des vertus contradictoires : il a un pouvoir bénéfique quand il symbolise le sacré, la purification (en particulier au moment du baptême) mais il a également un pouvoir maléfique par son action stérilisante : les terres salées sont arides, infertiles.
Etre changé en statue de sel fait écho à un passage de la Bible dans lequel la femme de Loth, qui avait osé braver l’interdiction de se retourner au moment où Sodome allait être détruite, a été transformée en statue de sel. A contrario, la phrase élogieuse « vous êtes le sel de la Terre » s’adresse aux disciples du Christ et à tous les chrétiens.
Renverser du sel sur la table est un présage de malheur : dans son tableau intitulé La Cène, représentant le dernier repas du Christ avec ses disciples, léonard de Vinci a placé une salière renversée sous le coude de Judas pour symboliser la rupture prochaine d’une alliance.
Ajouter son grain de sel dans une conversation peut être apprécié mais aussi considéré comme une intrusion.
Qui a jamais réussi à attraper un oiseau en lui mettant du sel sur la queue ?
Pourquoi dit-on « la note est salée » quand une facture dépasse de loin le montant qu’on s’imaginait avoir à régler ?
Probablement parce qu’un met trop salé est difficile à avaler et que son prix vous reste en travers de la gorge.
Quant à l’expression « il, ou elle, fait des blagues plutôt salées », elle fait allusion au caractère « piquant » (comme le sel ?) de la blague grivoise.
Le nom de nombreuses villes et villages est associé au mot sel : si Saumur n’a rien à voir avec la saumure, à Sel de Bretagne , une ancienne voie gallo-romaine porte le nom de Chemin des Saulniers .
Pour conclure, rappelons le projet conçu sous Louis XV par Claude-Nicolas Ledoux, autour de la Saline royale d’Arc et Senans dans l’Est de la France : Ledoux conçut cet ensemble architectural en forme d’un demi-cercle de 370 m de diamètre com-prenant les installations techniques et les logements des ouvriers. La maison du directeur était située au centre de ce diamètre et un « saumoduc », canalisation en sapin enterrée sur environ 21 kilomètres, approvisionnait la saline en « petites eaux » venant de Salins-les-Bains.
Architecte, philosophe et franc-maçon, Ledoux est passé à la postérité pour avoir conçu autour de la Saline royale une cité idéale, ville utopique qui n’exista que dans son imagination et dans les dessins qu’il en a laissés.
DEVINETTE : qui sont les riz-pain-sel ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro de La Mée : Une plante halophile (du grec als-alos=sel et philein =aimer) croît dans les terrains imprégnés de sel.
Elisabeth Catala Blondel