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Ecrit le 7 novembre 2018
Le mois de novembre et un peu de lecture dans une salle d’attente de médecin, et voilà qu’on pense à la mort. Philosophie Magazine lui a consacré un dossier en novembre 2010.
Les sociétés humaines ont toujours réservé une place privilégiée à la pensée de la mort. Parce que c’est la perspective de la mort qui donne envie de vivre. Mais nos contemporains s’entêtent à y penser le moins possible. résultat« ‰ : nous risquons de passer notre vie à courir, nous divertir ou nous abrutir de travail, pour nous retrouver fort dépourvus lorsque la grande faucheuse viendra. d’autant que si nous oublions volontiers notre propre mort, nous sommes en revanche tétanisés par l’idée que les autres, nos proches, peuvent disparaître. La mort nous ronge inconsciemment, rappelle le psychanalyste Irvin Yalom. Comment parvenir à dépasser cette peur souvent muette »‰ ? En l’ignorant consciemment« ‰ ? En l’affrontant héroïquement »‰ ? Ou en l’apprivoisant patiemment« ‰ ? Telles sont les trois principales options métaphysiques. Reste que c’est encore le Britannique Simon Critchley qui pose la meilleure question »‰ : comment ces grands donneurs de leçons que sont les philosophes meurent-ils« ‰ ? Attention »‰ : la réponse est parfois comique.
Quand l’espérance de vie était de 30-40 ans, quand un enfant sur trois mourait à la naissance, quand la plupart des maladies étaient sans remèdes, quand les individus vivaient sous l’emprise de la peur d’une mort violente, alors le visage des morts faisait partie intégrante de la vie, chacun était incité à se préparer à une mort prochaine. Mais la vie longue a chassé la mort de notre champ d’expérience.
Peu à peu, par les progrès de la médecine, la peur de la mort s’est métamorphosée. Ce qu’on redoute désormais c’est la mort pendant la vie, la mort des autres ou la nôtre. On se soucie moins de ce qu’il y a après la mort, on cherche à trouver les ressorts pour vivre jusqu’Ã la mort.
Mais que faire face à la mort ?
Ignorer la mort
Pour Socrate, mort en -399 avant notre ère, il fallait apprendre à mourir en se conformant à une discipline précise : travailler à purifier son âme, à se détacher de son corps. Socrate fut condamné à mort sur trois accusations : ne pas reconnaître les mêmes dieux que l’État, introduire des divinités nouvelles et corrompre la jeunesse. La véritable raison de la condamnation de Socrate tient au « caractère agressif de sa mission publique », c’est-à -dire qu’il se sentait obligé de débattre avec tout un chacun dans les rues d’Athènes, pouvant donner par là la fausse idée qu’il enseignait à ses disciples à ne pas respecter la religion traditionnelle. Le jour venu, Socrate but le poison létal, la cigüe, dans sa prison, entouré de ses amis. Une sorte de suicide assisté ! En choisissant de mourir, Socrate affirme la primauté de la vertu sur la vie : la vie du corps est subordonnée à la pensée.
Epicure, philosophe grec mort en 270 avant notre ère, disait : « la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus ».
Epictète, autre philosophe grec, mort en 135 de notre ère, disait : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, ce sont les opinions qu’ils en ont ». « La mort n’a rien de redoutable, mais le jugement que la mort est redoutable, c’est là ce qui est redoutable ».
Le philosophe Paul Ricœur, en 2005, eut cette pensée réconfortante : « la survie, c’est les autres ». Le mourant peut se consoler à l’idée que son entourage, ses enfants, ceux qu’il aime, vont continuer à vivre. Ce qui doit prendre fin c’est seulement le monde partagé avec eux. Il restera une trace de moi, en eux, comme un écho de mon amour de la vie.
Faire face
On peut faire face à la mort, plonger jusqu’au fond de l’angoisse, ne jamais cesser de penser à la mort et finalement s’en faire une amie. Prendre conscience que la vie est limitée, fragile, n’est-ce pas la reconsidérer ? Lui donner toute sa valeur ? Vivre en étant conscient que c’est une chance et un sursis, n’est-ce pas là une promesse d’intensité plus excitante ?
l’angoisse devant la mort est une sorte de jauge qui nous permet de faire le tri entre l’inutile et l’essentiel, entre les préoccupations futiles et la vie authentique sans pour autant encourager les passions tristes. Montaigne disait, en parlant d’un voisin paysan : « Nature lui apprend à ne songer à la mort que quand il meurt ».
Le psychanalyste Irvin Yalom estime que « prendre conscience que l’on n’est pas tout-puissant, mais au contraire mortel, cela incite à mieux aimer ce qui nous est donné, à vivre d’une façon plus authentique ».
l’apprivoiser
Sommeil, prise de drogues, maladies« ‰ : la vie est faite d’innombrables petites morts autant d’occasions pour se préparer au grand saut. Les récits de personnes ayant frôlé la mort concordent : après un temps d’angoisse intense, d’étouffement, de douleurs suraiguë s, c’est une sensation de paix et de bien-être, bruits divers, plongée dans un tunnel au bout duquel brille une lumière, impression de flotter au dessus de son corps, revue panoramique de sa vie qu’en est-il exactement ? Après l’ultime saut, nul n’est revenu pour le dire. » Après tout, la mort est peut-être une expérience qui mérite d’être vécue " dit Alexandre Lacroix dans Philosophie Magazine.
Ces dernières années, les conceptions ont changé : seules 46 % des personnes interrogées estiment « probable qu’il y ait quelque chose après la mort » et 67 % des Français refuseraient l’immortalité si elle leur était offerte. Il s’agit alors d’« apprendre à voir la maladie et l’amour depuis la vie et pas depuis la mort » comme dit Pierre Zaoui, auteur du livre « La traversée des catastrophes ».
L’homme devant la mort
L’historien Philippe Ariès a publié en 1977 le livre : L’homme devant la mort, en quatre parties : 1) Nous mourrons tous, 2) La mort de soi, 3) La mort longue et proche et 4) La mort de toi. Avec un fil conducteur : il existe une relation « entre l’attitude devant la mort et la conscience de soi, de son degré d’être, plus simplement de son individualité ».
Ph .Ariès part de la mort de Roland, constatant entre le 5e et le 18e siècle, « une attitude presque inchangée devant la mort, traduisant une résignation naïve et spontanée au destin et à la nature ». Cette mort apprivoisée coïncide avec le rapprochement des vivants et des morts quand les cimetières s’installent à proximité des villes et des campagnes dans la chrétienté latine. Son étude se termine au 20e siècle où « la société a expulsé la mort, sauf celle des hommes d’Etat. » La mort n’est plus un fait culturel qui structure la communauté. Cette relégation de la mort va de pair avec la médicalisation de la société.
Un extrait de la conclusion :
« Comment expliquer la démission de la communauté ? c’est qu’elle se sentait de moins en moins impliquée dans la mort d’un de ses membres. d’abord parce qu’elle ne pensait plus nécessaire de se défendre contre une nature sauvage désormais abolie, humanisée une fois pour toutes par le progrès des techniques, médicales en particulier. Ensuite, elle n’avait plus un sens de solidarité suffisant, elle avait en effet abandonné la responsabilité et l’initiative de l’organisation de la vie collective ; au sens ancien du terme, elle n’existait plus, remplacée par un immense agglomérat d’individus atomisés. ».