Ecrit le 20 mai 2020
Le mot peste est issu du latin pestis, qui viendrait peut-être de l’adverbe pessum (=au fond : pessum abire= s’en aller au fond – de la mer, par exemple - ; au figuré, pessum ire = aller à la ruine, à sa perte).
Une peste est une maladie infectieuse, contagieuse, épidémique, souvent mortelle, due à un bacille découvert par Alexandre Yersin.
« C’est une maladie terrible, la peste, le cou gonflé, la bouche ouverte, la langue comme une langue de bœuf », écrit Pagnol dans Fanny (1932).
Et Camus écrit dans son roman La peste (1947), (c’est le docteur Rieux qui parle) : « Il s’agit d’une fièvre à caractère typhoïde, mais accompagnée de bubons et de vomissements. J’ai pratiqué l’incision des bubons. J’ai pu ainsi provoquer des analyses où le laboratoire croit reconnaître le bacille trapu de la peste ».
Le mot peste désigne aussi l’épidémie de cette maladie ou d’une autre maladie contagieuse caractérisée par une morta-lité élevée : « A l’époque de la peste d’Athènes, l’an 431 avant notre ère, écrit Chateaubriand dans ses Mémoires (1848), vingt- deux grandes pestes avaient déjà ravagé le monde ». Et Artaud, dans Le théâtre et son double (1938) : « On peut se demander si la peste décrite par les médecins de Marseille en 1720 était bien la même que celle de 1527, à Florence ».
La peste noire qui a ravagé l’Europe au XIVe siècle, fut la pandémie la plus terrible qu’ait jamais connu l’humanité.
Par analogie, on désigne par le mot peste les maladies infectieuses virales de certains animaux : peste aviaire, porcine, bovine, équine, toutes extrêmement contagieuses.
Les interjections « peste », « peste de », ou « peste soit » très employées jusqu’au XIXe siècle marquaient la surprise admirative : « Peste, vous allez chez le cardinal de Rohan ! », écrit Chamfort en 1794, le désagrément : « Peste, qu’il fait froid » ! ou la désapprobation : « Je dis que la peste soit de l’avarice et des avaricieux » dit La Flèche, le valet de Cléante, le fils d’Harpagon, dans L’avare de Molière à la scène 3 de l’acte I.(1668).
Le mot est associé à choléra (1) dans l’expression choisir entre la peste et le choléra quand on est face à un dilemme et qu’on doit choisir entre deux solutions aussi mauvaises l’une que l’autre.
Au figuré, le mot désigne une personne ou une chose funeste, pernicieuse : peste publique, peste morale, voire un animal : « Les renards, pestes des bergeries », écrit Leconte de Lisle dans La bête écarlate (Poèmes tragiques), en 1886.
Par référence au fait que les nazis portaient des chemises brunes, la périphrase la peste brune désigne le nazisme.
Familièrement, une (petite) peste est une enfant, une jeune fille ou une jeune femme malicieuse, parfois insuppor-table : « Vous êtes une petite peste, me dit mon père. Si je vous parle raison, vous me répondez par des plaisanteries ! » peut-on lire dans Les mémoires de deux jeunes mariées de Balzac (1842).
Enfin, le mot s’emploie parfois adjectivement : il, ou elle, est un peu peste, très peste, même !
(1) Choléra vient du mot grec qui se prononce de la même façon et qui désignait déjà chez Hippocrate la maladie que nous connaissons. Ce mot est un dérivé de kholè, = bile, qu’on retrouve dans l’adjectif cholédoque (le canal cholédoque sert de voie de passage à la bile : il relie la vésicule biliaire à l’intestin). Le mot grec est passé en latin sous la même forme et est à l’origine de l’adjectif cholérique et du mot colère.
DEVINETTE : Qu’est-ce qu’une épizootie ?
REPONSE à la DEVINETTE du dernier numéro de La Mée : le mot barricade vient du mot barrique car ces gros fûts servaient à faire des barricades.
Elisabeth Catala
(Retrouvez en ligne les chroniques d’Elisabeth au temps du confinement)
La peste dépeinte par les écrivains
Avant que le disciple de Pasteur, Alexandre Yersin, ne découvre, à la fin du XIXe siècle, le bacille de la peste, la maladie a hanté les poètes depuis l’Antiquité .
La peste à Athènes
Dans le tableau de la peste à Athènes au Ve siècle avant J.C. que livre le poète Lucrèce dans son poème De natura rerum (De la nature des choses), le monde est face à l’apocalypse.
En un ciel inconnu notre ciel est changé,
Partout en un moment le virus propagé
Fond sur les eaux, s’abat sur les biens de la terre .
Moyen âge et Renaissance
Au Moyen Âge, Guillaume de Machaut décrit l’atmosphère qui règne au Royaume de France, lors de la grande peste noire, dans un poème dédié à Charles le Mauvais, roi de Navarre :
Car l’air qui estoit nés et purs
Fu ors et vils, noirs et obscurs
Lais et puans, trouble et pus
Si qu’il devint tous corrompus.
A la Renaissance, il est encore possible de fuir les grandes villes à cent lieues des lazarets, des pestiférés et des cadavres jetés à la fosse commune, mais dans ses souvenirs de 1720, lors de la grande peste de Marseille, le poète Deiglun montre que la campagne n’apparaît plus comme un paradis pour les « fuyards » :
Tandis que la cité pleure sa solitude,
Du peuple en la campagne
erre la multitude :
Les uns s’établissaient au sommet
des coteaux,
D’autres brûlant de soif,
sur le bord des ruisseaux ;
Mais, ô soins superflus, retraites inutiles !
La peste les frappait
dans ces derniers asiles.
La peste de Florence (1527)
Notre malheureuse Florence offre aujourd’hui un spectacle semblable à celui d’une ville que les infidèles auraient prise de vive force et ensuite abandonnée. Une partie des habitants, imitant votre exemple, a fui devant le fléau mortel et s’est réfugiée dans les villas éparses autour de la ville ; les autres ont trouvé la mort ou sont sur le point de mourir : ainsi le présent nous accable, l’avenir nous menace et l’on souffre autant de la crainte de vivre que de celle de mourir.
Ô malheureux temps ! Ô saison déplorable ! Ces rues si belles et si propres, que l’on voyait remplies d’une foule de nobles et riches habitants, exhalent maintenant l’infection et la malpropreté : on n’y voit que des pauvres, dont la lenteur et les cris effrayés ne permettent pas de marcher avec sécurité ; les boutiques sont fermées, les exercices suspendus.Un parent trouve-t-il un frère, une femme, son mari, chacun s’éloigne au plus vite. Les uns portent à la main ou ont toujours sous le nez des fleurs, les autres, des herbes odoriférantes ; ceux-ci, des éponges, ceux-là, de l’ail ; d’autres enfin, des boules composées de toutes sortes de parfums ; mais ce ne sont que des précautions .
La plupart s’occupent à rechercher l’origine du mal. Les uns disent : « Les astrologues nous menacent » et les autres :« Les prophètes l’ont prédit. » , on attribue le mal à la nature du temps, ; on en accuse la qualité de l’air propre à propager la peste et l’on finit par conclure que ce fléau n’est pas le seul qui nous menace, et qu’une foule d’autres maux sont prêts à fondre sur nous, écrit Machiavel en 1527, au soir de sa vie, dans sa Description de la peste de Florence .
Cette gravure de Paul Fürst (1656) représente le costume que portait le médecin de peste pour se protéger de l’épidémie. Le « bec » pouvait contenir des fleurs séchées, pour éloigner les mauvaises odeurs supposées être la cause de l’épidémie selon la théorie des « miasmes ».
Corneille et La Fontaine
Dans une de ses Stances, CORNEILLE écrit en 1660 un poème sur la peste :
J’ai vu la peste en raccourci :
Et s’il faut en parler sans feindre
Puisque la peste est faite ainsi,
Peste, que la peste est à craindre !
De cœurs qui n’en sauraient guérir
Elle est partout accompagnée,
Et dût-on cent fois en mourir,
Mille voudraient l’avoir gagnée ;
La mort serait douce à ce prix,
Mais c’est un malheur à se pendre
Qu’on ne meurt pas d’en être pris,
Mais faute de la pouvoir prendre.
Aussi chacun y perd son temps,
L’un en gémit, l’autre en déteste,
Et ce que font les plus contents
C’est de pester contre la peste.
LA FONTAINE : une de ses fables les plus connues est intitulée Les animaux malades de la peste (VII,1) . C’est l’un de ses chefs-d’œuvre.
Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom) capable d’enrichir en un jour l’Achéron faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : On n’en voyait point d’occupés à chercher le soutien d’une mourante vie ; Nul mets n’excitait leur envie ; Ni Loups ni Renards n’épiaient la douce et l’innocente proie. Les Tourterelles se fuyaient : Plus d’amour, partant, plus de joie.
Le Lion tint conseil et dit : Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous se sacrifie aux traits du céleste courroux, peut-être il obtiendra la guérison commune. L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents, on fait de pareils dévouements : ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence l’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons j’ai dévoré force moutons. Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense : Même il m’est arrivé de manger le Berger. Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi car on doit souhaiter selon toute justice que le plus coupable périsse.
Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur en les croquant beaucoup d’honneur. Et quant au Berger l’on peut dire qu’il était digne de tous les maux, étant de ces gens-là qui sur les animaux se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir du Tigre ni de l’Ours, ni des autres puissances, les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins, au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Âne vint à son tour et dit : J’ai souvenance qu’en un pré de Moines passant, la faim, l’occasion , l’herbe tendre, et je pense quelque diable aussi me poussant, je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n’en n’avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue qu’il fallait dévouer ce maudit animal, ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable ! Rien que la mort n’était capable d’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Elisabeth Catala
Ecrit le 27 mai 2020
LA PESTE d’ Albert CAMUS
Dans La Peste (1947), CAMUS imagine qu’une épidémie de peste, apportée par les rats, s’est abattue sur la ville d’Oran en 194… A travers le journal d’un témoin, le docteur Rieux, il nous fait assister à l’évolution dramatique du fléau depuis le jour où apparaissent les rats porteurs de la contagion, jusqu’au moment où, dans la ville isolée du monde et dont les habitants ont péri par milliers, le mal desserre son étreinte et les survivants renaissent au bonheur de vivre.
Les médecins sont impuissants à combattre l’épidémie qui s’étend très rapidement, faisant de très nombreuses victimes. L’autorité municipale déclare « l’état de peste » : dès lors, la ville est coupée de toute communication avec le reste du monde et ressemble à une ville assiégée.
La vie, pourtant, s’organise tant bien que mal. Parmi les habitants qui ne sont pas atteints, les uns demeurent engourdis par la peur ; d’autres cherchent une diversion dans des jeux stériles ; d’autres encore profitent de la misère générale pour s’enrichir. Les plus courageux regardent le fléau en face et, dans la mesure de leurs faibles forces, tâchent d’y porter remède.
Dans ce récit à la fois réaliste et mythique, la peste symbolise l’existence du mal physique et moral. Certains critiques y ont vu aussi une allégorie particulière de notre temps : « C’est l’occupation allemande et l’univers concentrationnaire, c’est la bombe atomique et les perspectives d’une troisième guerre mondiale, c’est aussi l’âge inhumain, celui de l’Etat-Dieu, de la machine souveraine, de l’administration irresponsable », écrit P. de Boisdeffre (1).
D’une remarquable densité, le récit se situe sur plusieurs plans. C’est d’abord la chronique d’une épidémie retracée par un médecin : les symptômes, la lutte persévérante malgré les échecs, l’espoir que suscite un nouveau vaccin, les agonies, les enterrements, les incinérations.
C’est aussi le récit d’un psychologue et d’un moraliste qui analyse de près les réactions individuelles : égoïsme, méfiance, douleur des séparations, ou collectives : élans vers la foi ou vers les plaisirs futiles, efforts pour s’adapter à la claustration (aujourd’hui, on dirait le confinement !), tentatives d’évasion. Peu à peu, les uns et les autres font, dans le malheur, l’apprentissage de la solidarité.
Au premier plan, quelques personnages se dévouent sans répit : GRAND, modeste employé, « héros insignifiant et effacé qui n’avait pour lui qu’un peu de bonté au cœur », est sans s’en douter une sorte de saint ; le journaliste RAMBERT, que hante l’amour d’une maîtresse restée à Paris et qui pourtant renonce à quitter la ville maudite car « il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul » ; le père PANELOUX, religieux qui s’attache à concilier la confiance en la bonté divine et la lutte contre la souffrance humaine ; TARROU, l’intellectuel qui observait « la comédie humaine » avec la lucidité de l’homme absurde (2), mais qui, devant la souffrance, éprouve les sentiments de l’homme révolté (3) et sera volontaire pour combattre le fléau, afin de trouver la paix intérieure ; enfin, le narrateur, le docteur RIEUX, inlassable adversaire de la peste, qui est l’interprète des idées de CAMUS : éloigné d’un optimisme béat, il sait que « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais » et qu’on doit toujours s’attendre à le voir surgir sous une forme ou sous une autre, comme il a surgi sous celle de l’occupation allemande ; mais toute épreuve suscite des vocations héroïques et enseigne « qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ».
(1) Pierre de Boisdeffre (1926-2002), écrivain et diplomate, a été directeur de la Radio puis conseiller culturel à l’ambassade de France à Londres. Il est l’auteur d’une monumentale Histoire vivante de la littérature d’aujourd’hui et de nombreux essais.
(2) Philosophie de l’absurde : elle a sous la plume de Camus une résonance particulière et habite toute son œuvre, en particulier Le Mythe de Sisyphe, dont le sous-titre est Essai sur l’absurde.
(3) Dans son essai intitulé L’homme révolté (1951), Camus nous invite à méditer sur la révolte qui découle de l’absurdité du monde pour lui opposer « la pensée solaire » des Grecs qui se prononce en faveur de la vie et non contre elle.
* * *
Albert Camus a confié l’essentiel de sa pensée à deux personnages de La Peste, d’origine et d’éducation différentes : le docteur Rieux et Tarrou, venu lui proposer son concours pour constituer des « formations sanitaires volontaires », malgré le danger mortel de la contagion. Incroyants l’un et l’autre, ils en viennent à préciser leur idéal à propos d’un prêche retentissant du Père Paneloux qui a présenté la peste comme un châtiment envoyé par Dieu pour inviter les hommes à se convertir. Pour le docteur Rieux, le mal constitue plutôt un scandale inconciliable avec l’idée d’un Dieu bon et tout-puissant.
« Rieux réfléchit. - Mais ce travail peut être mortel, vous le savez bien. Et dans tous les cas, il faut que je vous en avertisse. Avez-vous bien réfléchi ?
Tarrou le regardait de ses yeux gris et tranquilles.
Que pensez-vous du prêche de Paneloux, docteur ?
La question était posée naturellement et Rieux y répondit naturellement.
J’ai trop vécu dans les hôpitaux pour aimer l’idée d’une punition collective. Mais, vous savez, les chrétiens parlent quelquefois ainsi, sans le penser jamais réellement. Ils sont meilleurs qu’ils ne paraissent.
Vous pensez pourtant, comme Paneloux, que la peste a sa bienfaisance, qu’elle ouvre les yeux, qu’elle force à penser ! Le docteur secoua la tête avec impatience.
Comme toutes les maladies de ce monde. Ce qui est vrai des maux de ce monde est aussi vrai de la peste. Cela peut servir à grandir quelques-uns. Cependant quand on voit la misère et la douleur qu’elle apporte, il faut être fou, aveugle ou lâche pour se résigner à la peste.
Rieux avait à peine élevé le ton. Mais Tarrou fit un geste de la main comme pour le calmer. Il souriait.
Oui, dit Rieux en haussant les épaules. Mais vous ne m’avez toujours pas répondu. Avez-vous réfléchi ?
Tarrou se carra un peu plus dans son fauteuil et avança la tête dans la lumière.
Croyez-vous en Dieu, docteur ?
La question était encore posée naturellement. Mais cette fois, Rieux hésita.
Il dit que s’il croyait en un Dieu tout-puissant, il cesserait de guérir les hommes, lui laissant ce soin.
Je ne sais pas ce qui m’attend ni ce qui viendra après tout ceci. Pour le moment, il y a des malades et il faut les guérir. Ensuite, ils réfléchiront et moi aussi. Mais le plus pressé est de les guérir. Quand je suis entré dans le métier, je l’ai fait abstraitement en quelque sorte … Et puis il a fallu voir mourir. Savez-vous qu’il y a des gens qui refusent de mourir ? Avez-vous jamais entendu une femme crier « Jamais ! » au moment de mourir ? Moi, oui. Et je me suis aperçu alors que je ne pouvais pas m’y habituer. J’étais jeune alors et mon dégoût croyait s’adresser à l’ordre même du monde. Depuis, je suis devenu plus modeste. Simplement, je ne suis toujours pas habitué à voir mourir. Je ne sais rien de plus. Mais après tout…
Rieux se tut et se rassit. Il se sentait la bouche sèche.
Après tout ? dit doucement Tarrou.
Après tout, ...reprit le docteur et il hésita encore, mais puisque l’ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croie pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers le ciel où il se tait.
Oui, approuva Tarrou, je peux comprendre. Mais vos victoires seront toujours provisoires, voilà tout.
Rieux parut s’assombrir.
Toujours, je le sais ; ce n’est pas une raison pour cesser de lutter.
Non, ce n’est pas une raison. Mais j’imagine alors ce que doit être cette peste pour vous.
Oui, dit Rieux. Une interminable défaite.
Tarrou fixa un moment le docteur, puis se leva et marcha lourdement vers la porte. Rieux le suivit.
Qui vous a appris tout cela, docteur ?
La réponse vint immédiatement : la misère. Rieux eut soudain un rire d’amitié :
Allons, Tarrou, qu’est-ce qui vous pousse à vous occuper de tout cela ?
Je ne sais pas. Ma morale, peut-être.
Et laquelle ?
La compréhension ».
Elisabeth Catala